Un culte excessif.
À force de connaître le succès auprès des spectateurs et le mépris quelquefois haineux auprès de la critique chic, Georges Lautner a quitté peu à peu ce qui faisait son extrême originalité dans le cinéma de divertissement français : une forme de folie douce, de loufoquerie, qui culminent dans les quatre ou cinq ans qui vont de L’œil du monocle à Ne nous fâchons pas en passant par Les tontons flingueurs et Les barbouzes. Au delà des recettes convenues et très classiques (fussent-elles excellentes et pimentées mêmement des fulgurances langagières de Michel Audiard, Cent mille dollars au soleil d’Henri Verneuil par exemple), il y avait chez Lautner un grain de cinglerie iconoclaste assez surprenant.
Il me semble que le meilleur de Ne nous fâchons pas est dans ce grain là, dans l’idée bluffante du sérail pédérastique qui entoure le Colonel McLean (Tommy Duggan), la cohorte de jeunes et beaux garçons habillés par Renoma, interchangeables et psychédéliques, qui, en blazers croisés jouent, devant des paysages sublimes, des musiques échevelées. Il fallait à Lautner et à ses scénaristes, Marcel Jullian et Jean Marsan un certain culot pour, en 1966, introduire cette connotation plus qu’ambiguë dans un film aussi destiné au grand public. Fort hypocritement, dans le commentaire audio du film, tous ses auteurs font mine de n’avoir pas perçu leur audace… Tu parles !
Le reste du film me semble plus banal : les relations de chevaux de retour à forte puissance de feu qu’entretiennent Lino Ventura et Michel Constantin sont classiques, solides, sérieuses mais tout de même terriblement attendues : ces malfrats qui se sont rangés, qui ont mis leur oseille à l’ombre (si j’ose écrire) et qui vivent tranquillement une retraite ensoleillée étaient déjà celles (ou presque) de Jean Gabin, de René Dary et de Paul Frankeur dans Touchez pas au grisbi (et il doit y avoir bien d’autres exemples).
Et autre pont-aux-ânes la relation invraisemblable entre un mâle dominant et un chien battu qui lui colle au corps comme de la glu et dont il ne peut se débarrasser. On a raison de citer l’assez médiocre Emmerdeur, mais il faut aussi mentionner les multiples mésaventures des personnages incarnés par Pierre Richard et Gérard Depardieu (La chèvre, Les compères, Les fugitifs). Ajoutons que les dialogues de Michel Audiard ne sont pas de sa meilleure inspiration.
Surtout je trouve disproportionné le rôle distribué à Jean Lefebvre, très médiocre simple acteur de complément, au jeu monocorde, incapable d’une autre mimique que celle de ces yeux de cocker qui, dans le film, ont fait basculer Mireille Darc. Marcel Jullian le dit avec honnêteté dans un des suppléments du DVD : Quand on ne savait plus quoi faire, on faisait envoyer une baffe à Lefebvre et ça marchait.
Je crains que ce soit cette accumulation de beignes qui demeure dans les mémoires, le comique gras ayant de tout temps émerveillé les foules.