J’ai eu un vrai scrupule à ne donner que la moyenne à Nelly & Monsieur Arnaud mais comme c’est là le dernier film de Claude Sautet, qui a donné tant de bonheurs à tous les amoureux du cinéma, je n’ai pas tout à fait osé aller plus bas … En plus le jeu magnifique de Michel Serrault, celui, très solide, d’Emmanuelle Béart, que je ne me souviens pas d’avoir vu aussi maîtrisé (mais il est vrai que je n’ai encore jamais vu Un cœur en hiver) ont rehaussé mon impression et dissipé le léger malaise éprouvé…
Éprouvé pour quoi ? Pour n’avoir pas reconnu l’univers si vaste de l’auteur de Vincent, François, Paul… et les autres, son sens extrême des rapports de société, de la solitude ressentie jusqu’au fond des rapports collectifs. Ce mécanisme des relations de groupe qui donnait tant et tant d’épaisseur à tous ses films, même s’ils étaient centrés sur des rencontres de couple (ainsi les choses de la vie…)
Là, je n’ai pas ressenti grand chose, en dehors de la relation singulière qui s’établit entre les deux protagonistes du titre : on dirait que tous les autres personnages n’intéressent pas Sautet, alors que l’une de ses forces est de les singulariser si fort que, même si on a l’esprit empli de l’histoire racontée en premier plan, on suit aussi les dix ou vingt pistes des autres destins, y compris celles qui sont très secondaires. Pour Nelly & Monsieur Arnaud, Claude Sautet, tout à son histoire principale semble s’être un peu débarrassé des éléments extérieurs, à l’exception (et encore !) de Jacqueline, l’amie de Nelly, impeccablement interprétée par Claire Nadeau ; mais ni Jérôme (Charles Berling) le mari velléitaire et bientôt divorcé de Nelly, ni Vincent, l’éditeur (le très falot Jean-Hugues Anglade), ni Isabelle, la fille d’Arnaud (Michèle Laroque) n’ont la moindre substance…
Et que dire du trésor qu’aurait représenté la trouble silhouette de Dollabella aux mains du Sautet d’avant, même si Michael Lonsdale parvient à être parfait en quatre mots et trois courtes séquences ? Là où il y aurait pu avoir un abîme presque perceptible au spectateur, il n’y a qu’une petite histoire anecdotique qui ne touche pas, alors qu’elle prétend découvrir des réalités glauques…
Finalement je me demande si le rôle le mieux creusé, le plus propice à la profondeur habituelle qu’on connaît au réalisateur n’est pas celui, bien bref, de Lucie, l’ancienne femme d’Arnaud, avec qui il va partir pour un tour du monde ennuyé, à la fin du film. Mais je me suis peut-être laissé séduire par la réapparition de Françoise Brion, que je n’avais plus vue depuis des éternités au cinéma… (Alexandre le bienheureux, peut-être… ça fait un bail).
Même la musique de Philippe Sarde est malingre, ne retient pas l’attention….
Heureusement, donc, il y a Michel Serrault ; depuis la mort accidentelle de sa fille Caroline en 1977, il a à la bouche un pli d’amertume et près de vingt ans après le drame, il joue tous ses rôles avec ce poids désenchanté. Comment mieux alors interpréter M. Arnaud, vieil homme riche, rêche, misogyne qui vit avec Nelly son dernier émoi, un émoi qui n’est pas feint lorsque, dans une très belle scène il contemple, dans la chambre obscure le dos nu de la jeune femme ? Ce n’est pas parce qu’il sait qu’il n’a rien d’autre à attendre d’elle et que, même si elle se donnait, par gratitude ou indifférence, il n’en voudrait pas, qu’il ne ressent pas la tristesse de l’âge venu et des années gâchées… Il ne s’illusionne pas : le tour du monde qu’il va commencer avec sa femme pour retrouver leur fils à Seattle, à l’autre bout du monde, n’est qu’une façon de combattre doucement la mort qui vient, mais sûrement pas d’oublier que la vie est finie.