L’envie m’étant venue, cette après-midi, de revoir l’agréable décolleté de Mlle Lollobrigida, ne voulant pas replonger (ceci sans allusion narquoise à la pulsion sus-évoquée) dans la série des Pain, amour, revue trop récemment, je me suis dit que la redécouverte du film de l’honnête Delannoy, bon artisan limité et honnête ne me détournerait pas trop de mon objectif premier par des audaces de mise en scène et des fulgurances de réalisation. Et puis le livre m’est familier et la cathédrale proche et chère. Tout pour passer deux heures paresseuses, tranquilles, confortables.
Ah, diable, qu’est-ce qui m’a pris ! N’eût été l’impeccable plastique et l’admirable visage de l’actrice, cette pauvre grosse machine opulente de studio ne mériterait que l’oubli charitable… On n’a pourtant pas mégoté sur les décors, qui engloutirent, paraît-il la moitié du budget de cette coproduction internationale, ni sur l’abondance des figurants. On a fait appel à Georges Auric, qui eût un nom, pour la musique et à Jean Aurenche et Jacques Prévert pour l’adaptation et les dialogues. C’est tourné en Cinémascope et en Eastmancolor, c’est-à-dire à peu près ce qu’on faisait de mieux, en termes techniques, en 1956. Ça se fonde sur un des plus célèbres romans français, dont le découpage cinématographique n’est pas malaisé, surtout si on l’élague d’épisodes dont on peut se passer sans perdre l’intelligence du récit (par exemple la reconnaissance mélodramatique d’Esméralda par sa mère, la méchante recluse, à qui elle a été enlevée, toute jeune par une bande de Romanichels).
Et j’oublierais presque de dire que ça se pare de la présence et du jeu du grand Anthony Quinn, qui parvient à ne pas être outrancier dans le rôle délicat et contrefait de Quasimodo.
Que Jean Tissier est drôlement bon dans son interprétation de Louis XI (un des plus grands Rois de France, un des plus profonds politiques que nous ayons jamais eus). Qu’on a toujours plaisir à voir à l’écran Philippe Clay, même lorsqu’il en fait un peu trop, comme c’est le cas.
Mais alors, le reste, tout le reste, que c’est mauvais ! Il est presque pénible d’évoquer la médiocrité physique et la pâleur du jeu de ce qui devrait être le rayonnant, l’irrésistible Phoebus de Chateaupers, joué par un Jean Danet qui a fort bien fait de se consacrer ensuite aux tournées de pièces de boulevard dans les provinces reculées (ça s’appelait Les Tréteaux de France). J’aurais employé Michel Auclair ou Philippe Lemaire, qui avaient de belles petites gueules de salauds, et non pas ce caramel mou de Danet…
Puis, malgré tout l’argent englouti dans les décors, le Paris médiéval fait vraiment carton-pâte. Hors quelques traits un peu vachards, le dialogue tombe à plat et coule à pic. Les couleurs sont criardes et omniprésentes, comme pour montrer aux spectateurs de 1956, encore très familiers du Noir et Blanc, qu’il est temps de passer à autre chose. Delannoy, comme s’il était au théâtre, filme ça avec une sagesse et une monotonie rares : ainsi l’ombre maléfique de Claude Frollo guettant les conversations d’autres protagonistes en apparaissant demi-caché par un pan de mur ou une encoignure… (Il faut, pour être honnête, reconnaître que la séquence de l’ébranlement fou des cloches par Quasimodo, se jetant sur elles, leur faisant l’amour, d’une certaine façon, n’est pas mal réussie…).
Et puis, épouvantablement mauvais, atterrants de nullité, chacun enfermé dans ce qu’il a de pire, deux acteurs emblématiques de la scène française, malencontreusement appelés à l’écran, et, comme la plupart de leurs congénères, n’y réussissant pas : Robert Hirsch, tout d’hystérie pleurnicharde et surtout l’épouvantable Alain Cuny, publicité vivante pour un laxatif à grande efficacité, qui commença en jouant Claudel et finit dans Emmanuelle… Cette silhouette sinistre, compassée, incapable de la moindre nuance, aux maxillaires toujours serrés et au jeu toujours hiératique et boursouflé donne la mesure des fausses gloires qui eurent de la notoriété et sont aujourd’hui heureusement oubliées.
Bon. Et donc à part le (fort sage) décolleté de la belle Gina, j’ai perdu deux heures…