Clic-clac Kodak !
J’ai tordu le nez pendant des années (et me le suis même pincé) devant les films de Quentin Tarantino et je commençais à m’y faire et à les apprécier, sans pour autant porter le réalisateur au pinacle. Et voilà que Once upon a Time… in Hollywood me rend assez perplexe et me décontenance depuis que je l’ai vu hier dans une grande salle quasi vide. Ça faisait presque un an que je n’étais pas entré dans un cinéma, d’ailleurs. Conditions de vision impeccables donc, sans des voisins qui puent, qui parlent, qui grignotent du pop-corn, qui se lèvent inopinément, qui dissimulent par leur grande taille la moitié de l’écran ; c’est déjà bien. Et en plus, naturellement en V.O.
Il y a au moins deux histoires dans le film, deux histoires reliées de manière assez ténue, même acrobatique et presque artificielle par les deux acteurs, l’un et l’autre absolument impeccables, Leonardo DiCaprio et Brad Pitt.Le premier incarne Rick Dalton, vedette à peine notoire de feuilletons télévisés, dont l’étoile pâlit sérieusement ; le second Cliff Booth, sa doublure cascadeuse et son homme à tout faire, peut-être son seul véritable ami. Tout cela se passe dans la grande foire aux vanités d’Hollywood, peuplée de producteurs féroces, de filles sublimes et d’acteurs prêts à tout (on pourrait tout autant inverser : de producteurs prêts à tout, de filles féroces et d’acteurs sublimes ; et ainsi de suite).
La première histoire du film est une sorte de documentaire sur ce caravansérail sauvage, ce bûcher où se brûlent tant de vertus et tant d’ambitions, où tout est à vendre et tout à acheter, où foisonnent requins, maquereaux et sardines, où les fêtes alcoolisées et cocaïnées permettent à tous ceux qui y touchent, même de façon parcellaire, de se croire dans une sorte de paradis artificiel, alimenté par de continuelles chairs fraîches.
Pourquoi ne pas tourner un film sur ce pandémonium qui dévore chaque jour sa ration ? L’usine à rêves, sorte de Moloch avide, a besoin de plumages nouveaux (voir Mulholland drive), qu’elle rejettera ensuite avec indifférence (voir Boulevard du crépuscule ou – pourquoi pas ? – La fin du jour). On pouvait concevoir que le réalisateur filmât cette sorte de mutation perpétuelle, qui, sans doute, s’accentuait peu après 68 et le formidable bordel des années de rébellion (hippies, Woodstock, marijuana, Vietnam, Droits civiques et tout le bataclan) et la dégringolade d’un personnage de quelque notoriété, ringardisé et se survivant tant bien que mal.
Mais là, sans doute chronologiquement accrochées à la même époque mais évoluant dans un autre monde, les dérives libertaires de la Contre-Culture trouvant un de ses plus monstrueux aboutissements avec la Famille Manson ; certes pas la seule secte irriguée de LSD et de sexualité débridée (Les enfants de Dieu, incestueux et pédophiles n’étaient pas mal non plus dans le genre immonde) mais celle qui a laissé dans l’imaginaire collectif la trace la plus forte en raison du massacre de Sharon Tate, femme de Roman Polanski et de ses amis en août 1969, il y a cinquante ans.
À partir du moment où Cliff Booth/Brad Pitt va approcher la Famille, en raccompagnant jusqu’au phalanstère Pussycat (Margaret Qualley), une gamine perverse, séduisante et droguée, le film s’accélère, prend de la tension et devient haletant. Scènes formidables au ranch Spahn où métastase la secte ; je dois dire avoir aussi rarement ressenti une impression de malaise, sans qu’il y ait (jusqu’à la presque fin de la séquence) la moindre violence physique. C’est absolument bluffant.
On a quitté donc depuis longtemps les incertitudes de l’acteur ringard et se développe très brillamment l’horreur que tous les spectateurs attendent : l’évident massacre de Sharon Tate/Margot Robbie. On n’est pas déçu et il y a un festival de violence et de cruauté éminemment tarantinien et un looping très séduisant.
Pour autant, le film ne ravit pas ; trop long, trop plein de séquences absolument superflues (le combat de Cliff/Pitt avec Bruce Lee/Mike Moh, la séance de cinéma à quoi assiste Sharon Tate/Margot Robbie, trop hétéroclite, trop disparate, trop plein. Ce sont – j’y reviens – finalement deux films sans liens réels l’un avec l’autre. Et deux films dont la somme, plutôt qu’une addition, est une soustraction.
Mais enfin, pour la qualité du filmage, de la musique, des acteurs, pour le plaisir de voir Cliff/Pitt (et sa chienne Brandy) démolir sauvagement des crasseux hippies, c’est au dessus de la moyenne !