Orange mécanique

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Le messie interplanétaire contre l’ultra-violence

Il se peut que de tous les films que Stanley Kubrick a réalisé après avoir conquis sa liberté de création (c’est-à-dire après Spartacus), il se peut donc qu’Orange mécanique soit le moins bon  ;  je l’ai en tout cas souvent entendu ou lu de certains amateurs, qui jugent que l’esthétique si fortement marquée des années Soixante-Dix a notablement vieilli et a périmé certains aspects de l’œuvre.

L’argument me convainc d’autant moins que, précisément, cette histoire située dans un futur proche, mais indéterminé, presque virtuel (les amateurs de mondes parallèles saisiront ce que je veux dire), conserve grâce à cela, encore plus aujourd’hui toute l’extrême étrangeté déjà créée par la novlangue (le Nadsat), trouvaille géniale d’Anthony Burgess, lourde de mots conçus à partir de langues slaves, mais immédiatement compréhensible, y compris dans le roman, tant l’idiome est subtilement dosé. Que ceux qui n’ont jamais offert, en 1972, un moloko à une devotchka me jettent, d’ailleurs, la première pierre.

Ensuite, quoi ? Mais tout, évidemment ; en tout cas toute la première partie du film, la célébration esthétisante de l’ultra-violence !

La naranja mecanicaDu travelling avant déterminé sur Alex et sa bande au Korova Milkbar (« Il y avait moi, c’est-à-dire Alex, et mes trois drougies, c’est-à-dire Pete, Georgie et Dim. Nous étions installés au Korova Milkbar à nous creuser le rassoudok pour savoir où passer la soirée« ) au meurtre de la femme aux chats, tout est absolument parfait.

Je garde, pour ma part, une place privilégiée à la bagarre chorégraphiée avec la clique de Billy Boy (qui a entrepris de violer une devotchka, précisément) avec une sublime  sortie de l’ombre d’Alex et une non moins sublime interpellation:  » Oh, oh, oh ! Si c’n’est pas ce gros sac tout poicreux de Billy Boy empoisonné !  Que racontes-tu, grosse outre pleine de mauvaises huiles à mauvaises frites, graillon puant ? Viens t’en prendre un dans les camouilles, s’il te reste des camouilles, frise d’eunuque en gélatine ! »

Mais le lynchage de M. Alexander (Patrick Magee) et le viol de sa femme (Adrienne Corri) sur l’air de « Singin’ in the Rain » n’est évidemment pas mal non plus. (sait-on assez que c’est là une idée géniale et totalement improvisée de Malcolm McDowell ?)

Même si la première partie du film induit l’évidence de la seconde, la fausse rédemption d’Alex, elle me paraît moins sublimement tendue ; c’est sûrement normal et il faut bien respirer ; cela dit, il me semble qu’il y a là quelques longueurs,  jusqu’à ce qu’Alex refasse – à l’envers – le chemin de croix qu’il a infligé aux autres. La fin est naturellement empreinte de l’esprit de l’époque, du type « Le citoyen contre les Pouvoirs »,  qui n’est pas tout à fait de mon goût.

Cela dit,  quelle merveille, ces brimborions de critique évacués !

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