Hautes murailles.
Carlotta films vient d’éditer Othello avec le même soin, le même respect, la même belle qualité que Macbeth : image magnifique, suppléments denses, présentation de haut niveau. Ce n’est que justice pour ces deux très grands films qui donnent du théâtre une image intelligemment dépoussiérée et qui – je risque la gageure – auraient sûrement ravi William Shakespeare parce que, tout en conservant au texte toute sa richesse et sa subtilité, ils donnent à l’œuvre une dimension extraordinairement améliorée par la magie du cinéma. Dans un tout autre genre, je me rappelle la délicieuse impression que m’avait fait le Georges Dandin de Roger Planchon qui, lui aussi, servait le théâtre en s’en évadant.
Revenons à
Othello que
Welles tourna avec ses habituelles difficultés de financement, dans une quantité invraisemblable de sites et dans des décors du grand
Alexandre Trauner sur un long espace de temps.
Que dire de différent sur la qualité de la réalisation que ce que j’ai, il y a quelque temps, remarqué sur
Macbeth ? Une virtuosité grisante dans l’emploi de tout ce que la caméra peut offrir pour impressionner, émerveiller le spectateur à coup de plongées et contre-plongées, d’angles improbables, de décentrement des sujets qui apparaissent souvent de dimension tout à fait dérisoire, minuscules par rapport à l’immensité du ciel ou des forteresses, donnant ainsi au personnage son rôle : celui d’un pauvre brimborion écrasé par les forces naturelles ou, ici, par l’ampleur cruelle de la haine.
Des scènes absolument sublimées. Toute l’introduction, qui va ensuite donner place aux flashbacks, comme souvent chez
Welles (par exemple dans
Citizen Kane). Enterrement d’Othello et de Desdémone l’un et l’autre victimes de Iago qui est, parallèlement, conduit à la torture dans une cage de fer qui sera hissée tout en haut d’une muraille où il mourra dévoré par la soif, la faim, les oiseaux et le soleil : sur plusieurs plans, les hauts crucifix, le défilé des porteurs de cercueil, des prêtres et des pénitents qui se croisent et s’entrecroisent, avec une grande profondeur de champ qui donne encore davantage l’impression de la désolation et du désastre. Un véritable écrasement des existences. Autre merveille : l’effroi d’Othello (
Orson Welles, bien sûr) qui vient d’étrangler Desdémone (ravissante
Suzanne Cloutier) : pièces immenses, murs cyclopéens, toutes petites issues : on ne saurait mieux dépeindre l’horreur.
Je mets toutefois
Othello un cran en dessous de
Macbeth, sans doute en raison de la nature des enjeux, de la hauteur du récit. Il y a dans
Macbeth quelque chose de
tellurique, selon l’expression d’
André Bazin, quelque chose qui touche à l’essence du pouvoir ; si la folie de l’Homme est là, gluante, dans l’un et l’autre film, la jalousie du Maure de Venise me semble avoir un peu moins de grandeur que la paranoïa du Thane de Glamis.
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