Ennuyeux mais joli.
Trente deux ans depuis que, dans une salle de la ville d’Ajaccio, lors de la sortie en France de Out of Africa, j’ai vu le film en m’endormant presque, trente deux ans que je proclamais à cor et à cri que le film de Sydney Pollack faisait partie de ceux que je détestais le plus.
Je n’entends pas par là un film insignifiant ou franchement plat, comme la nullissime Année sainte mais comme un des mauvais coups contre le cinéma, un de ceux dispensés par Bergman, Godard ou Antonioni : un truc terrifiant de suffisance et d’ennui.
À force d’écrire cette opinion définitive, je me suis demandé si j’avais bien raison de la soutenir et si je n’avais pas été victime, lors de ma découverte, d’une aigreur d’estomac ou d’une démangeaison agaçante qui m’auraient conduit à un jugement exaspéré. Le film passait l’autre soir à la télévision : autant lui donner une deuxième chance.
Allez, va ! Bon prince, je conviens que ce n’est pas un des trois ou quatre plus mauvais films de l’histoire du cinéma et que – au moins ! – les images de la fascinante Afrique parviennent à le sauver de l’horreur absolue ; il est vrai que la tâche est là plutôt aisée et que les ciels mordorés, les panoramiques majestueux, les visions de plein horizon de la terre matrice de l’Humanité sont un adjuvant puissant à n’importe quelle histoire ; ajoutons à cela les merveilleuses élégantes tenues coloniales et la capacité britannique à reconstituer, fût-ce dans les contrées les plus extrêmes, les règles et les codes en vigueur d’Eton à Cambridge et de Harrow à Oxford.
Mais sans cela, quel ennui profond malgré la bonne qualité personnelle des acteurs engagés, Meryl Streep, juste pas assez jolie pour qu’on puisse la prendre au sérieux, Robert Redford, beau comme les dames respectables peuvent en rêver, Klaus Maria Brandauer, qui a exactement la petite veulerie souhaitée dans sa physionomie de jouisseur. L’histoire de la médiocre baronne Blixen qui, parce qu’elle rêve de porter un nom aristocratique, achète avec sa fortune un titre qui ne lui servira pas à grand chose, tentera de cultiver des caféiers à une altitude scabreuse et courra toute sa vie après un aventurier hédoniste égocentrique qui se fiche bien d’elle aurait pu être un agréable mélodrame.
Rien de cela en fait, à cause de la réalisation guindée, prétentieuse et dilatoire de Sydney Pollack ; le film se traîne, mélodieusement, si l’on veut, grâce à la musique un peu facile de Mozart mais ne cesse de se répéter, de se ressasser, de s’entasser. C’est long, certes (2 heures et demie), mais surtout c’est creux. On espère bien un peu qu’on va revoir l’Afrique qu’on aimait, les grands domaines, les boys stylés, les indigènes sympathiques et dévoués, la savane à perte de vue, les animaux sauvages, les aventuriers séduisants et plus dangereux que les grands fauves, les missionnaires épiscopaliens un peu cinglés, les whiskies sours au soir tombant lorsque les lions vont boire, les moustiquaires et les safaris, mais ça n’est que la superficie du film, consacré aux états d’âme d’une femme plutôt exaspérante et indécise.
C’est en tout cas beaucoup moins bien que Le festin de Babette de la même Karen Blixen qui se passe dans une île désolée du Jutland. il n’y a pas de miracle.