Quelle bonne surprise !
Voilà un petit film charmant, drôle, gai et, avant tout, malin, que je noterais un soupçon davantage s’il ne souffrait d’une faille annexe – la présence, quasi obligée à cette époque, il est vrai, du bafouillant Darry Cowl dans un rôle très mineur, mais déjà pénible – et surtout d’un grave défaut : la mièvrerie catastrophique du jeune premier, Gérard, imposé par la partie italienne de la coproduction, l’insignifiant Roberto Risso.
À part ça, qui n’est malheureusement pas négligeable, c’est très bien ; d’abord, le réalisateur, Henri Verneuil, qui n’était pas encore une légende du cinéma français, mais avait déjà derrière lui quelques solides réalisations (La table aux crevés, Le fruit défendu, Des gens sans importance ; ces deux derniers avec, déjà, Françoise Arnoul). Verneuil s’est là entouré de solides collaborateurs : Jean d’Eaubonne aux décors, Philippe Agostini à la photographie, Charles Spaak au scénario et aux dialogues ; en d’autres termes, c’est ce qu’on faisait de mieux dans le genre.
Importance donnée, aussi, aux acteurs de deuxième et troisième plans, si importants, à l’époque pour que le public du samedi soir se retrouve et se sente, en quelque sorte, en famille. En voici, à la volée : Gabrielle Fontan, Louis Seigner, Raymond Bussières, Julien Carette, René Génin, Jean Ozenne, Robert Dalban, Bernard Musson, Max Elloy, Jacques Jouanneau, Albert Rémy, Jean Clarieux… Quel florilège…
Pour se rendre compte de l’importance des acteurs de complément, il faut entendre Gabriel Gobin, qui joue un rôle de brigadier de police mobilisé le soir du réveillon de Noël raconter à ses collègues avec quelle tristesse il a dû – devoir oblige ! – quitter sa petite famille rassemblée sous le sapin illuminé, alors même que fleurait bon, de la cuisine, une délicieuse odeur de boudin… oui, en 1956, on pouvait frémir d’aise en songeant à du boudin grillé, pour un réveillon… quelle merveille !
Le scénario est un très ingénieux récit à clins d’œil libertins mais clairement inspiré des éternelles trames de Marivaux : travestissements, stratagèmes, méprises, surprises de l’amour : Françoise (Françoise Arnoul), petite manucure du salon de coiffure du Paris Palace Hôtel, se méfie des riches clients qui lui content fleurette, mais moins par vertu que par prudence : un homme qui ne sera avec elle ni le week-end, ni les fêtes, ni les vacances, ça ne vaut pas la peine. Elle est pourtant séduite par le charmant Henri Delormel (Charles Boyer), fortuitement rencontré dans l’hôtel, riche quinquagénaire, dont on n’est pas sûr que la fortune ne vienne pas de sa femme, la volcanique Madeleine (Tilda Thamar), qu’il vient d’expédier en Suisse pour pouvoir passer un réveillon tranquille dans la Capitale.
Mais – c’est là où ça se corse – au sortir de la chambre où elle vient d’accepter de passer la soirée de Noël avec Delormel, Françoise rencontre Gérard (Roberto Risso) : elle se fait passer pour la fille de Delormel, et lui pour un industriel du réfrigérateur dont il vient de réparer la Chrysler.
Je passe sur le développement du récit, ingénieux et agréable, qui, naturellement, s’achèvera au mieux dans le bonheur simple et bientôt conjugal des jeunes gens. N’empêche qu’au delà de l’anecdote, évidemment artificielle, il y a quelques jolies trouvailles.
Et puis deux grands acteurs. Charles Boyer, charmeur, ironique, élégant, spirituel. Et Françoise Arnoul, légère, mutine, gracieuse, ni vénéneuse, ni perverse comme les metteurs en scène le voudront souvent, mais jolie jeune femme libre de ces temps déjà bien anciens…