C’est bien toujours un peu la même chose, lorsqu’il s’agit de filmer un métier aussi accaparant, aussi passionnant – aussi passionnel -, aussi usant que celui des brigades spécialisées de la police : des individus rassemblés par de drôles de hasards d’existence dans un même espace de vie, conduits par l’exercice de leur métier à déjeuner ensemble, à planquer ensemble, à se détendre ensemble, à partager des heures et des heures sur des affaires graves, blessantes, violentes : on n’échappe que rarement à la collection de têtes, au rassemblement de personnalités aussi différentes que possible, avec des histoires intimes qui surgissent au milieu du boulot – ou ne surgissent pas, d’où frustrations -, avec des amitiés, inimitiés, luttes de pouvoir, séductions diverses, histoires de sexe passées, présentes ou à venir…
Sans en avoir jamais beaucoup vu, je crois que les séries à succès de la télévision sont à peu près toutes de cette eau-là, de Julie Lescaut (Véronique Genest !!) à Navarro (Roger Hanin !!!) ; ça plaît parce qu’un microcosme affronté aux dures réalités de la vie policière satisfait un besoin de romanesque sans nuance.
Je ne ferai pas à Polisse l’injure d’être comparé aux exemples précités, mais il y a tout de même un peu un air de déjà-vu dans ces aventures d’une section de la Brigade de Protection des Mineurs qui s’étire pendant deux heures. S’y entrecroisent des anecdotes dont la plupart sont épouvantables et dont on se rend compte qu’elles sont sûrement exactes, aux mots près, extraits sûrement de PV d’audition de victimes et de prévenus, insérées pour le réalisme du propos. On n’invente sûrement pas l’histoire de la sous-prolétaire qui, sur le conseil de l’assistante sociale, a renoncé à pratiquer vespéralement une gâterie sur la personne de son bébé ce qui le calmait, alors que maintenant il pleure tout le temps ; on n’invente pas le dialogue entre les flics stupéfaits et une gamine qui a trouvé normal de turluter dans une cave tout un régiment de camarades de sa copine pour récupérer son portable malicieusement dérobé, parce que tout de même c’est un très beau portable ! ; on n’invente pas le mot de ce Chinois soupçonné de polygamie et qui proteste avec vigueur puisque, n’ayant que deux femmes, il n’est que bigame.
La dureté de la vie de ces gens confrontés aux pires horreurs et abjections humaines pourrait être insupportable. Heureusement, la réalisatrice, Maïwenn, se garde d’appuyer sur les pires détails, d’introduire le voyeurisme un peu louche du spectateur dans son récit, ne dissimulant rien des faits évoqués, mais avec une sorte de pudeur bienvenue, fouillant et montrant juste ce qu’il faut pour qu’on comprenne sans images ou évocations trop crasseuses. Ceci est le meilleur du film, comme l’est toute sa partie quasi-documentaire : l’irruption à l’aurore blême dans un camp de Romanichels trafiquants d’enfants (ces malheureux gosses d’abord mendiants et chapardeurs, puis prostitués, dès qu’ils se sont un peu formés) et l’arrestation, dans un centre commercial des mêmes vendeurs de chair fraîche humaine.
Je suis beaucoup moins convaincu par l’importance que prennent graduellement, dans le courant du film, les intrigues connexes, et notamment par l’histoire amoureuse qui se noue entre Melissa (Maïwenn elle-même), silencieuse délicate photographe censée effectuer un reportage sur la Brigade, et Fred (Joey Starr), grande gueule brutale et sensible… Je veux bien que Mélissa vive une curieuse histoire familiale, j’admets que tous les goûts soient dans la nature et qu’une jeune femme issue d’un cocon préservé ait un jour envie de s’envoyer en l’air avec un mâle rustique ; mais enfin… c’est à l’auteur du film de nous faire accepter ces prémisses jusqu’à les rendre presque naturelles, et je ne trouve pas que Maïwenn y soit parvenue… Il faut dire aussi que Joey Starr a tout de même un physique pas très ragoûtant (c’est une litote) et qu’il ne semble briller sur aucun autre plan… Enfin… Voilà qui fera toujours quelques entrées dans les salles de banlieue…
Les autres acteurs ne sont pas mal : Louis-Do de Lencquesaing et Sandrine Kiberlain jouent très finement un couple de grands bourgeois déchiré par l’abomination pédophile. Wladimir Yordanoff en fait trop, en Commissaire un peu lâche, un peu veule, un peu agacé (en plus, il porte fort mal sa rosette rouge, la plaçant soit au dessus, soit au dessus de sa boutonnière). Karin Viard, il est vrai, est rarement mauvaise mais devrait prendre garde à ne pas se confiner dans des emplois un peu souffrants de laissée-pour-compte ; Marina Foïs, Iris, l’anorexique, est remarquable, exception faite de la ridicule scène finale du film, cette sorte de point final brutal sans aucune nécessité par quoi la réalisatrice a cru devoir achever Polisse.