Tout s’achète et tout se vend.
Il y a eu, au début des années 80, une mode assez singulière et qui me semble, comme toutes les modes, être passée de mode : celle d’associer sur l’écran un couple d’acteurs à la dégaine et aux tempéraments opposés. Cela ne faisait d’ailleurs que reprendre d’anciennes recettes, qui vont de Don Quichotte et Sancho Pança à Laurel et Hardy. Mais donc, à foison, surgissement de films où un grand balaise bien doté par la nature (et souvent chéri de ces dames) et un gringalet lunaire ou grognon cohabitent. Éliminons vite les pochades répétitives de Francis Veber avec Gérard Depardieu et Pierre Richard (La chèvre ou Les fugitifs), aventures exotiques ou ensoleillées toutes bâties sur le même schéma (puisque ça marche !).
Mais nous pouvons dire du bien de deux films au moins, multidiffusés mais toujours assez drôles : Viens chez moi, j’habite chez une copine de Patrice Leconte avec Michel Blanc et Bernard Giraudeau en 1981 et mieux encore Marche à l’ombre de Michel Blanc avec l’auteur et Gérard Lanvin en 1984. Entre les deux, Édouard Molinaro a essayé de se faufiler avec cet assez médiocre Pour cent briques, t’as plus rien issu d’une pièce de théâtre écrite par Didier Kaminka.
Deux copains dans la dèche, dont l’un, Sam (Daniel Auteuil se fait presque immédiatement licencier et l’autre, Paul, (Gérard Jugnot) est un chômeur habitué. Rien d’autre à espérer de la vie (en 1982 déjà !) que d’accomplir un hold-up fructueux dans une banque comme c’est encore la mode à l’époque, avant qu’elles cessent de conserver d’importantes sommes en numéraire dans leurs coffres. Mais les compères se sont vite rendu compte que les coffres ne sont que maigrement approvisionnés et que le pactole ne peut surgir que grâce à une prise d’otages bien médiatisée où les autorités se sentiront contraintes d’obéir aux exigences des malfrats.
La première demi-heure du film ne manque pas de verve, d’autant qu’elle est illuminée (et enluminée) par la beauté et le charme complaisamment dénudé de Caroline (Élisa Servier) toute frétillante de désir pour le séducteur Sam/Auteuil. Les deux desperados s’entraînent à faire irruption dans une agence, en terrifier les clients et le personnel et à exiger d’un ton rogue des autorités des sommes indécentes. Jusqu’ici tout va bien même si Édouard Molinaro filme ça avec une grande indolence.
Mais dès que les deux complices se retrouvent dans l’agence bancaire, voilà que ça commence à puer le théâtre, ses situations convenues, ses scènes à faire et ses rebondissements de situation sans intérêt qui font habituellement crouler de rire le public qui voit ça entre cour et jardin : ainsi la trouille noire qui saisit périodiquement Henri (Jean-Pierre Castaldi), ancien gorille des services spéciaux qui ne peut supporter la moindre évocation du sang. Surgit alors aussi Nicole (Anémone), habituée des prises d’otages qui va promptement organiser les opérations, puisqu’elle connaît la musique et détient notamment le numéro de la ligne téléphonique réservée de Jean-Louis (Paul Barge), directeur du Cabinet du ministre de l’Intérieur. Voilà qu’on a atteint les soixante minutes et qu’il reste à boucler une bonne demi-heure. Il va falloir tirer à la ligne.
Et c’est là que ça traîne, que ça s’étale, que ça s’affale. On est bien obligé de faire rebondir le récit en mouillant tous les agents de la banque dans un partage de leur rançon. C’est en premier leu le directeur (François Perrot, excellent d’ailleurs) qui suggère la chose, à la satisfaction générale. Et tout le monde acquiesce. C’est comme ça : tout le monde s’achète, il suffit de mettre le prix. Qui a dit que les années Mitterrand, les années 80, étaient celles du règne de l’argent-roi ?
Ah, au fait, un mauvais point pour Daniel Auteuil qui préfère le laideron Anémone à la beauté Élisa Servier. Quel toupet !