En terre étrangère.
Il est peu contestable que Bertrand Blier se voit comme un moraliste et peut-être encore davantage comme un fabuliste au sens que le Grand Siècle donnait à ces mots : celui d’observateur discret et narquois des mœurs et caractères humains. Le malheur pour lui est que ces genres artistiques exigent modération, retenue et bon goût, qui ne sont pas ses qualités premières.
Le sarcasme grinçant, l’outrance amère valent – et ne valent que – sur un format court, ramassé, rapide mais ne tiennent pas la distance. D’où de jouissives fulgurances (Calmos, Tenue de soirée) qui, au fil du film, s’empatouillent et lassent, finissent par agacer ou faire bâiller.
Le grand propos du moraliste est de faire prendre conscience à la pauvre Humanité qui s’abuse d’elle même de quelques acides constatations, présentées comme des axiomes incontestables. Et souvent, chez Bertrand Blier, c’est la singularité des natures masculine et féminine : dans Préparez vos mouchoirs, ce mot de Raoul (Gérard Depardieu) à Stéphane (Patrick Dewaere) Les nerfs d’une femme, c’est comme la météo, on n’y comprend pas grand chose…, qui me fait penser à ceux du chansonnier Jean Amadou : Les femmes, il faut les aimer ou essayer de les comprendre. Aucun homme n’a une espérance de vie assez longue pour faire les deux.
On a taxé Bertrand Blier de misogynie : c’est vite dit et très parcellaire ; il me semble qu’il y a davantage chez lui une sorte d’effarement devant la différence de sensibilité qu’il constate entre les sexes et devant l’étrange paysage de la sensualité féminine.
Comme dans Les valseuses, de façon plus joyeuse, presque rabelaisienne ici, de manière plus sombre et amère là, il y a dans Préparez vos mouchoirs, un truc que les hommes (ceux des hommes qui sont présentés, si l’on veut) ne peuvent pas saisir, parce qu’il est à la fois trop simple et trop compliqué pour eux, un truc qui débloque les sens et les situations… Mais on pourrait presque en dire autant de Trop belle pour toi, voire de Tenue de soirée…
Est-ce que ça suffit pour intéresser le spectateur ? Sûrement oui ; pour faire un film important ? Sans doute non… Et cela malgré la qualité extrême de la distribution avec, en plus de Depardieu et de Dewaere, éblouissants, Michel Serrault et Carole Laure. Et elle, bien belle, absente, hors du monde, lunaire jusqu’à son éveil charnel. Et surtout Riton Liebman qui a toute la tristesse du monde dans les yeux, même (et surtout ?) lorsqu’il obtient ce qu’il veut de la femme, terra incognita.