Pour la première fois que je regardais un film d’Arnaud Desplechin, qui a une réputation d’intellectuel gauchiste compliqué, je ne peux pas dire que je me sois ennuyé. J’ai même beaucoup apprécié certaines scènes, certaines parties, notamment la présentation que fait le réalisateur de son personnage Nora Cotterelle (Emmanuelle Devos, excellente comme toujours). Cette drôle de femme dont on voit vite la fragilité et l’incertitude paraît pourtant être une de ces femmes modernes bien ancrées dans un monde agréable de gens cultivés, aisés, connivents, qui vivent entre la rue Jacob et le boulevard Saint Germain. J’ai trouvé très juste et fin tout ce qui la concerne, au moins au début, notamment la montée de son inquiétude devant la maladie de son père (Maurice Garrel, qui, au demeurant, a plus de talent que ses fils et petit-fils réunis).
L’ennui est que Desplechin, en qui les critiques de l’intelligentzia voient le phénix du cinéma français, a eu pour ambition de brasser dans un film bien trop long de 2h30, des tas de thèmes affectifs, symboliques, psychanalytiques qui, à la longue, font un peu fatras. Fatras de qualité, j’en conviens volontiers, où le cinéaste qui part quelquefois sur des chemins de traverse et manque verser dans des précipices montre assez de qualités et de talents pour redresser la course un peu folle de son engin au dernier moment et lui faire reprendre la courbe, souvent même élégamment.
Cela dit, si donc on ne s’ennuie jamais, on a tout de même un peu de mal à entrer dans la problématique des protagonistes, à les suivre et à s’y attacher. Ce n’est guère grave, me dira-t-on. N’empêche qu’on a souvent l’impression d’être devant un drôle de machin déséquilibré, avec des épisodes excédentaires mal rattachés au tronc principal ; ainsi par exemple la séquence agaçante et de ton faux où Ismaël (Mathieu Amalric) a une discussion assez vive avec sa sœur Élisabeth (Noémie Lvovsky) ; ainsi l’intervention de Mamanne (Hippolyte Girardot), l’avocat cocaïné d’Ismaël.
Je ne suis pas assez idiot pour n’avoir pas compris le sens de l’intervention de ces deux personnages : je dis simplement que leur agrégation au film est assez inhabile jusqu’à les faire passer pour des parasites du récit, alors que, j’en suis persuadé, la volonté de Desplechin est de fondre harmoniquement tous les courants de son histoire.
Quelque chose d’aussi complexe (je renonce à résumer ici la trame du film et ses entrelacs sophistiqués) exige beaucoup de finesse, dont Despléchin ne manque pas, mais un peu plus de souffle et de maîtrise, sauf à quelquefois paraître partir dans tous les sens. On m’objectera qu’à les bien regarder, à bien en scruter le sens, les interventions de la psychiatre (Catherine Deneuve) et de la psychanalyste (Elsa Wolliaston) d’Ismaël ont leur pertinence, éclairent aussi singulièrement l’itinéraire mental d’un homme malade et attachant. Certes. Mais lorsque le brave couillon de spectateur que je suis, honnêtement disposé et ne demandant pas davantage que de marcher ne parvient plus à avancer, c’est bien que, de son point de vue au moins, il y a quelque chose qui cloche.