D’emblée, à la première séquence, c’est un animal en rage et en panique qui traverse les couloirs de l’usine comme il le ferait dans un sous-bois. La caméra portée suit presque malaisément sa course furieuse, sa violence et son halètement. La jeune fille vient d’être licenciée sans avoir démérité, seulement parce que c’est comme ça et qu’on peut faire le travail sans elle. Elle s’appelle Rosetta, vit avec sa mère alcoolique, qui se prostitue par faiblesse et pour pouvoir se saouler, dans une caravane pourrie, sur un terrain de camping désertique. Ciel toujours gris, pelouses sèches, forêt humide, sale, vaseuse : on est près de Liège, dans cette Wallonie apparemment fichue qui fit la prospérité de la Belgique et qui est maintenant un poids mort.
Sandra (Marion Cotillard), qui est au premier plan du dernier film des deux frères, Deux jours, une nuit n’est pas une femme particulièrement attachante, fatiguée et dépressive, il est vrai. Et Rosetta/Dequenne est emportée, brutale, fermée, capable de tout. Mais l’une et l’autre sont dans la perspective unique de la survie. Et pourtant leur combat est avant tout celui de la dignité : Je suis une fille normale, je ne tomberai pas dans le trou se répète en grelottant Rosetta lorsqu’elle s’endort. Sa mère couche avec le sale gérant du camping, davantage encore par faiblesse de caractère que pour mendier une bouteille d’alcool et payer le loyer de la roulotte. Rosetta tient le coup. Contre le monde entier, contre, même, Riquet (Fabrizio Rongione), le garçon qui en est amoureux (ou, peut-être, plus médiocrement, qui n’a qu’envie de coucher avec elle).
À un moment, c’est trop dur, trop insupportable, trop désespérant. Mais, pour les pauvres, même la mort, même le suicide, c’est compliqué. Extraordinaire séquence où Rosetta va prendre, chez le vautour du camping, une bouteille de gaz pleine, puisque celle qu’elle utilisait s’est trop promptement vidée. La fin du film est ouverte : Riquet a surgi sur la pelouse râpée du camping et tourne autour de la fille. On se dit que cette sale vie va peut-être s’arranger.