Rouge Midi

Bien décevant.

On ne progresse pas continûment ; à preuve le deuxième film de Guédiguian, qui est nettement, très nettement inférieur en intérêt au premier, Dernier été, si ce n’est pour la qualité magnifique de la photographie.

Il est vrai que Marseille est une des villes les plus photogéniques de France, à cause, bien sûr, en bonne partie, de la beauté immédiate de sa lumière de sud méditerranéenne, mais aussi de sa topographie, de sa situation, de la variété de ses quartiers, à la sensation que, sur un assez petit périmètre (mais deux fois plus étendu que Paris, tout de même), on peut trouver des places de village miraculeusement préservées, des traverses ombrées de figuiers, des criques secrètes et d’immenses usines à machineries compliquées et impressionnantes.

Les ambitions de Rouge midi sont bien trop importantes pour un deuxième film et Guédiguian n’a pas eu les moyens matériels ni, sans doute, le souffle qu’il aurait fallu pour filmer la chronique historique qu’il prétendait tracer, celle d’un gamin venu tout enfant, dans les années Vingt, de la miséreuse Calabre et qui, dans la Petite Italie du quartier de l’Estaque, grandit, aime, franchit les luttes d’un tiers de siècle, le Front populaire, l’Occupation, les grèves violentes des dockers, la transformation du paysage avec l’arrivée des immigrés… Trente-cinq ou quarante ans d’une vie, les amours, les enfants, les amis, les fêtes et les deuils..

C’est Gérard Meylan qui incarne ce Jérôme tout brûlant de révolte, jamais vraiment apaisé même lorsque, vers sa vingtième année, il rencontre et épouse Maggiorina (Ariane Ascaride) qui sera la femme et le grand amour de sa vie. Elle lui donnera deux enfants, dont Pierre (Pierre Pradinas), instituteur communiste passionné, lui-même père d’un petit Sauveur qui, devenu grand (et ayant repris les traits de Gérard Meylan, ce qui est une fort mauvaise idée), s’éloignera de Marseille pour Paris, la quittant avec de la tristesse, mais aussi beaucoup de ressentiment dans les yeux.

Sur cette histoire familiale assez simple, et nullement désagréable, se greffent d’autres histoires : celle de Mindou (Raul Gimenez), le meilleur ami de Jérôme qui vit du sourire de ses gagneuses, celle de son frère Guido, scaphandrier solitaire, celle de Fredou, simple d’esprit un peu obsédé (Jacques Boudet), celle de Ginette, l’amie de Maggiorina (Martine Drai), qui ambitionnait de chanter au music-hall, est mise sur le trottoir par Mindou et finit sa vie en s’alcoolisant, celle de…

C’est trop. Ou alors il faut disposer de quatre ou cinq épisodes de 90 minutes pour embrasser tant de sujets, tant d’histoires privées serrées à la grande Histoire… en regardant Rouge midi, j’ai songé à ces sagas que la télévision française de jadis offrait aux amateurs, du type Au plaisir de Dieu, ou Les dames de la côte: en cinq ou six heures, on a le temps de poser les personnages, de les suivre, de les faire oublier puis de les revivifier. En moins de deux, on cavalcade à coup d’ellipses qui ne sont pas toujours bien amenées.

D’autant que les acteurs sont souvent bien maladroits, à la notable exception d’Ariane Ascaride, très juste, et que le manichéisme des options politiques de Guédiguian est un peu niais, et souvent même ridicule. Ainsi la scène, qui se passe au milieu des années Trente, où les vilains fascistes qui collent des affiches (en complet veston !) sont mis en déroute et humiliés par l’avant-garde prolétarienne conduite par Jérôme (d’ailleurs, tous les prolétaires sont beaux et épanouis, tous les bourgeois moches et coincés).

C’est donc bien maladroit, quoique fort estimable. La folle espérance de la Révolution a tout de même donné de bien meilleurs films.

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