Fugitive du camp des vainqueurs…
Voilà un gentil petit film, insignifiant comme une brise d’été et charmant comme elle. Un film issu d’une pièce de théâtre de boulevard et plein de ses gentillesses et facilités. une histoire qui devait bien marcher entre cour et jardin lorsqu’on la mettait en scène pour la plus grande satisfaction des braves gens de l’immédiate après guerre. Une histoire de brave type plutôt fatigué qui, par la grâce d’un traitement presque miraculeux administré par un démiurge helvète, le docteur Koranoff (Mischa Auer, qu’on ne voit malheureusement pas assez) redevient un gandin très passable et dont la verdeur va entraîner quelques situations scabreuses.
Théâtre de boulevard, assurément, et du plus traditionnel, du plus ancré, du plus habituel. Mais c’est le temps où le boulevard s’appuie, précisément, sur ce qu’on pourrait appeler des valeurs fortes, des situations qui, qu’on s’en moque ou qu’on les loue, sont bien situées, bien ancrées dans les histoires sociales. Et ce théâtre ne fonctionne que parce qu’il est empli, précisément, des sortes de transgressions à un ordre à peu près complétement admis.
Il y a bien longtemps que je ne vais plus au théâtre, voir les vaudevilles qui ravissent les autobus pleins de braves gens de la France périphérique, qui s’esbaudissent aux histoires d’amants confinés dans les placards et de goûts sexuels singuliers : la fiction, à mes yeux, n’a toujours pas rattrapé la réalité et n’est guère à même de le faire. Qui s’indignerait aujourd’hui devant ce qui effarait nos parents et les faisait même tousser un peu, mi gênés, mi ravis devant ce qui leur paraissait être d’une extrême audace ? Il y a des années lumière entre ce qui est représenté et fait encore crouler de rire des tas de gens qui paraissent à peine se rendre compte que l’ordre du monde à quoi ils se cramponnent a passablement changé.
Revenons à nos moutons. Une famille très bourgeoise des années 50, la dernière décennie, sans doute où ont cohabité l’ancien et le nouveau monde. Un opulent bourgeois, Thomas Longué (André Luguet), qui a couru la gueuse toute sa vie et se résigne mal à ne plus pouvoir le faire, ses 79 ans atteints. Sa femme, Zabeth (Gaby Morlay), à peine plus alerte, à 70 ans passés. Un couple sans enfants mais affligé de neveux rapaces, Étienne (Jacques Morel) et Armande (Gisèle Grandpré), avides capteurs d’héritage, dotés pourtant d’un charmant garçon, Jean-Paul (Guy Bertil), qui passe son temps à danser le be-bop au Quartier Latin, avec ses copains Daniel Cauchy et Jean-Pierre Cassel.`Le vieux M. Longué, ne se résignant pas à sa décrépitude, va passer quelques semaines de cure dans la clinique du docteur Koranoff, qui le rajeunit de vingt ans. Dès lors, redevenu le gandin séduisant et séducteur qu’il était jadis, mais toujours affublé de son épouse, confite en dévotion, que peut-on penser qu’il lui arrive ?
D’autant que des hirondelles supérieurement intéressées volent généralement au dessus des foyers de ces ressuscités : Longué va être facilement et vite subjugué par une de ces oiselles de bon lignage, Mathilde (Micheline Dax), qui s’installe graduellement dans sa vie et obtient même d’obtenir de se marier avec le riche homme d’affaires après qu’il aura divorcé de sa légitime.
Mais heureusement la vertu règne dans le cinéma français de l’époque : après qu’elle aura fait la même cure de rajeunissement que son mari, Zabeth/Morlay se retrouvera pareillement redotée des charmes les plus juvéniles et les deux tourtereaux réconciliés s’envoleront pour Venise, au grand dam de ceux qui sont roulés dans cette réconciliation, le couple gluant des neveux, la gourgandine Mathilde et l’assureur Horville (Noël Roquevert).
Comme on le voit, tout ça ne va pas bien loin. Et c’est filmé par André Berthomieu avec une sagesse qui confine à l’insignifiance. On se croirait presque aux heures de Au théâtre ce soir, avec des décors figés, des portes qui s’ouvrent et d’autres qui se referment quand les protagonistes doivent entrer ou sortir. Mais enfin c’est enlevé, souvent amusant, quelquefois enjoué… Pourquoi pas ?