De l’inconvénient d’être né.
Voilà un exercice de style agréable, qui ne séduira vraiment que ceux qui ont pour Brian De Palma une certaine adulation mais qui intéressera aussi ceux pour qui cette notoriété hollywoodienne, sans pouvoir prétendre aux plus hautes destinées, n’est pas tout à fait négligeable. De Palma n’est ni Scorsese, ni Cimino, encore moins David Lynch ; c’est un réalisateur solide quelquefois, quelquefois peu inspiré ; une sorte de Jean Delannoy ou de Denys de La Patellière pour les mondialisés. On pourrait presque dire avec lui, en parodiant Truffaut que c’est l’empesage de la Qualité hollywoodienne. Peu de choses au demeurant. Quelques excellents films (Carrie au bal du Diable, Scarface), beaucoup de nullités (Le fantôme du paradis, Le dahlia noir). Rien d’extraordinaire, jamais.
Sœurs de sang est le premier film qui ait permis à De Palma d’acquérir certaine notoriété. Pour une raison que j’ai quelque mal à m’expliquer, le vent qui souffle à ce moment-là est très propice aux films d’épouvante et d’horreur. L’Exorciste date de la même année, par exemple, alors qu’on a soutenu, avec quelques bons arguments que ce genre de cinéma se développe dans les époques inquiètes et alors même donc que 1973 est la dernière année des Trente Glorieuses. Prémonition ? Toujours est-il que la prospère, repue, tranquille société qui a bien digéré les folies de 68 aime à se faire peur.
A-t-on au demeurant vraiment peur dans Sœurs de sang ? Frémit-on, est-on glacé, impressionné, saisi d’effroi par cette histoire sanglante ? Oui, un peu sans doute de temps en temps lorsque les coutelas, les bistouris, les hachoirs se mettent à frapper… Mais simplement un peu. D’abord parce qu’on est sur ses gardes et qu’on attend de pied ferme les blessures et assassinats, et aussi (beaucoup) parce que, depuis presque cinquante ans, la cruauté, la violence et le sang ont fait de sacrés progrès dans leur représentation.
L’intrigue est originale et habilement menée. De Palma mixe évidemment plusieurs références cinématographiques. À tout le moins c’est ce que disent les critiques professionnels. Je suis, pour Sœurs de sang, incapable d’en trouver une autre que Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock, puisque une partie de l’intrigue est fondée sur un assassinat perpétré dans un appartement et remarqué par hasard d’une fenêtre voisine par Grace Collier (Jennifer Salt). Le thème des jumelles a dû être traité avec abondance au cinéma, celui des siamoises nettement moins, je pense ; je n’ai en tête que les deux jeunes femmes de La monstrueuse parade, Daisy et Violet Hilton, mais ça n’a aucun autre rapport que physiologique. Quant au dédoublement de personnalité, il me semble que le réalisateur en donnera une image plus satisfaisante, quelques années plus tard, avec Pulsions.
Donc au cours d’un jeu télévisé assez dégradant, Danielle Breton (Margot Kidder) fait connaissance d’un jeune homme noir, Philipp Woode (Leslie Wilson). Malgré l’intervention insistante de l’ex-mari de la jeune femme Émile Breton (William Finley) qui, comme elle, est Québécois, ils passent la nuit ensemble. Mais au matin, alors que Philipp revient de la pharmacie où Danielle l’a envoyé chercher un médicament particulier et de la pâtisserie où il a acheté un gâteau d’anniversaire pour Danielle et sa jumelle Dominique, censée avoir passé la nuit dans l’appartement, il est sauvagement poignardé. C’est ce meurtre sauvage que la journaliste Grace Collier a vu de sa fenêtre.
Scepticisme de la police, qui est très hostile à la journaliste qui habituellement ne la ménage pas dans ses articles. Et voilà. La suite se complique.
Le spectateur omniscient qui a tout vu et comprend assez vite le reste ressent un certain plaisir à voir l’intrigue se dérouler avec des ramifications simples et efficaces tout à la fois. Et le film finit sur un double pied-de-nez – Grace vainement interrogée par la police et Kelly (Dolph Sweet), le détective privé qu’elle a engagé planqué sur un poteau télégraphique guettant qui viendra chercher certain canapé – ; habile et amusant.
Cela étant, le film, comme on l’a dit avec pertinence, est le brouillon d’un cinéma qui vaudra mieux ensuite.