Sous le sable

Psychologie des profondeurs.

François Ozon avait déjà suffisamment de talent et de savoir-faire pour ancrer Sous le sable dans la cohorte de ces films qui mettent mal à l’aise le spectateur. Ces films qui vous placent devant une réalité déplaisante déjà vécue ou appréhendée de vivre : qui n’a, à un moment, même bref, ressenti l’angoisse de s’être égaré dans une forêt comme dans Le projet Blair witch ? Qui ne s’est inquiété, dans un milieu inconnu, à l’étranger, dans une gare, un aéroport, un hôtel de ne pas voir revenir dans des délais raisonnables quelqu’un qui s’est absenté, comme dans Frantic ? Et qui donc, sur une plage déserte, après une longue somnolence, ne s’est demandé où était passé celui qui est parti se baigner et qu’on n’aperçoit plus ?

Mais, de ce qui aurait pu être une assez classique affaire de disparition, Ozon tire un beau film sur l’absence et le déni considérés sous le seul aspect féminin ; comme plus tard il mettra en scène de bizarres Huit femmes ou de fantasmatiques rêveries ménopausées dans Swimming pool. Au fait, est-il nécessaire, pour entrer avec talent dans les ressorts psychologiques des femmes, de n’être pas sexuellement attiré par elles ? En d’autres termes, seuls les homosexuels ont-ils la capacité de se fondre dans le territoire mental de la plus gracieuse partie de l’Humanité, de la comprendre, de l’explorer ?

Je note que Sous le sable a été écrit par Ozon en collaboration avec Emmanuelle Bernheim, Marina De Van et Marcia Romano et que le film ne présente les hommes, sans animosité aucune, au demeurant que comme des paltoquets (Vincent/Jacques Nolot, l’amant de passage de Marie/Charlotte Rampling), des niais (Gérard/Pierre Vernier, l’ami avocat) ou des dépressifs (Jean/Bruno Cremer, le mari qui disparaît, noyé par la fatigue ou le dégout de vivre, on ne sait). Dans Sous le sable, seules les femmes ont de la substance, de l’épaisseur, voire de la cruauté (la mère possessive de Jean/Andrée Tainsy, magnifique d’arrogance).

JeSous_le_Sable-Under_the_Sand-37an et Marie s’aiment, c’est une évidence ; mais c’est une évidence aussi qu’ils ne se comprennent plus et que les efforts qu’ils font pour être l’un à l’autre sont vains. Dès lors, à la disparition de Jean, toutes les hypothèses se pressent dans la tête de Marie : qu’est-ce qui s’est passé ? Noyade ? Accident cardiaque ? Suicide ? Assassinat ? Farce tragique ? Plaisanterie scandaleuse ?

On vit vingt-cinq ans à côté d’un être, dans un coudoiement continu complice affectueux et on ne sait rien de lui ? C’est cela, finalement, le thème du film. Et lorsqu’on s’en rend compte, on ne veut rien admettre de cette évidence. Il y a bien, dans Sous le sable, un peu de lourdeur pédagogique, un peu de volonté démonstrative, mais c’est véniel. Et les remarquables acteurs incarnent avec tant de talent leurs fatigues et leurs amertumes que, malgré tout, ça fonctionne très bien.

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