Portrait craché d’une famille modèle.
J’ai trop de reconnaissance envers ceux qui m’ont permis de découvrir tant de films magnifiques – et en premier lieu Aguirre – et qui, à chaque fois qu’il sont intervenus ont apporté un regard lucide, pénétrant et encyclopédique, j’ai trop de regrets qu’ils aient déserté notre site pour leur en vouloir une seconde de m’avoir incité à regarder, par des commentaires élogieux, ce Devil’s rejects qu’à franchement parler je n’ai pas trouvé bien intéressant…
Oh, il y a plein de bonnes choses dans ce film affreux : une des meilleures idées qui se puissent est, à mon sens, d’avoir présenté une famille à la fois monstrueuse et profondément unie, absolument soudée et, si l’on peut dire, fidèle à ses valeurs ; autre réussite, aussi, celle d’avoir mis au premier plan le physique angélique de Baby (Sheri Moon Zombie) aussi perverse que ses père, mère et frère ; musique country idéalement adaptée aux terrifiantes solitudes de l’Amérique profonde ; scènes très réussies ; par exemple la découverte filmée du ranch de l’horreur, ses têtes d’animaux clouées ici et là, ses albums de massacres éparpillés, sa crasse idéale ; les dix dernières minutes, d’une grande beauté plastique, où le hiératisme des attitudes sacrificielles de la famille maudite ressemble à l’exécution rituelle qui clôt Bonnie and Clyde.
Je jugerais plutôt positive la (très relative) discrétion dans le genre gore : point (trop) de boyaux dévidés, de visages fendus en deux, de coulées de sang noir : on n’a pas besoin de ça pour avoir les chocottes, lorsque, par ailleurs, la terreur suinte ; mais, précisément, The devil’s rejects ne terrifie pas trop, alors qu’il dépeint la fuite gluante d’une famille de dégénérés sanguinaires poursuivie par un shérif vindicatif, avide de vengeance.
Pourquoi ça ? A mes yeux parce que ça manque cruellement d’un des éléments essentiels du cinéma : le rythme ! La plupart des films d’horreur montrent habituellement quelques braves crétins égarés, à leur grand dam (en le faisant presque exprès, pour ainsi dire !) dans un capharnaüm d’épouvante ; la moitié, ou les deux tiers, des protagonistes disparaît, et, généralement, l’un d’eux (pas forcément le plus robuste, ni le plus malin), survit, durablement traumatisé ; la démarche est à peu près constante et fonctionne très convenablement ; dès lors, qu’est-ce qui fait la différence entre les œuvres vraiment terrifiantes et les autres ? Le halètement ! Cette faculté d’empathie pour les victimes et de fascination pour les bourreaux…
Car le regard porté sur ce genre de films est rarement innocent…