« Avoir un bon copain… »
Bob Guibert (Jacques Pills) est un sacré noceur qui passe sa vie, en compagnie de son ami d’enfance Patrice Duvallon (André Tabet) au milieu de jolies filles à la cuisse évidemment très légère dans des soirées coquines et arrosées de Champagne et dans des cabarets à musiques endiablées. Il est le neveu d’Honorine (Pauline Carton), veuve, riche, indulgente à ses fredaines, mais qui est toujours flanquée de son homme d’affaires, Pfitz (Baron fils), d’apparence austère et sévère mais en fait canaille détourneuse de fonds et vipère lubrique insoupçonnée (là j’exagère un peu).
Les frasques du jeune Bob finissant par dépasser les bornes, sa tante décide de l’envoyer s’acheter une conduite dans la plantation sucrière qu’elle possède à la Martinique, plantation dirigée par l’obèse gluant Pedro Hernandez (André Berley), qui traficote à qui mieux mieux avec Pfitz mais qui est aussi le père d’une charmante sauvageonne, Maricousa (Claude May). Par une lettre cachetée, Honorine recommande à Hernandez de faire travailler son neveu avec la plus grande rigueur, comme un nègre. Mais Bob, léger et malin décachette la lettre et pour éviter la géhenne qui lui est destinée demande à son ami Patrice, comme par jeu, d’intervertir leurs identités, sans le prévenir, naturellement de ce qui l’attend.
Pendant la traversée, les jeunes gens font la connaissance de Robinet (Saturnin Fabre), nouveau Gouverneur général de la Martinique, qui rejoint son poste et de sa charmante fille Viviane (Junie Astor), qui est bien tentée par les deux amis mais ne sait lequel choisir…
Après dix péripéties souvent amusantes et ingénieuses, souvent aussi d’une grande facilité, nourries des quiproquos que l’on devine, du fait de l’interversion des identités entre Bob et Patrice, le film se termine par les trois mariages de Bob et de Maricousa (Pills et Claude May), de Patrice et de Viviane (Tabet et Astor) et de Robinet et d’Honorine (Fabre et Carton).
Tout cela est bien gentil, filmé sans inventivité et sans éclat par le modeste René Guissart ; malheureusement, les chansons de Moises Simon et d’Albert Willemetz sont absolument insignifiantes, ce qui est dommage pour un film à prétention musicale et qui est donc, sur ce point et sur d’autres, à cent lieues du délicieux Prends la route de Jean Boyer, avec les mêmes Pills, Tabet et Claude May, petit bijou de gaieté et de fantaisie.
Mais dans les pires nanards – et Toi, c’est moi n’est pas tout à fait un des pires, il y a souvent de petites perles à recueillir, à tout le moins de petites leçons à tirer. D’abord, en matière de musique, c’est dans ce film, chose que j’ignorais, que Pauline Carton et André Berley serinent l’immortel Sous les palétuviers, petit chef-d’œuvre nonsensique chanté en duo, dont le refrain, nul ne l’ignore, je pense, est :
»Ah! Je te veux sous les pa,
Je te veux sous les lé,
Les palétuviers roses …
Aimons-nous sous les palé,
Prends-moi sous les létu,
Aimons-nous sous l’évier ! ».
Grand moment de poésie lyrique, donc. Puis deux observations sociologiques intéressantes : la première est l’invraisemblable doux racisme dont le quart du tiers ne passerait pas la rampe aujourd’hui : doux serviteurs obéissants, exploités avec une candide innocence et une parfaite bonne conscience par les Européens.
Secondement, l’atmosphère de légèreté coquine qui règne dans tout le film et qui n’est pas antipathique. Je ne fais pas trop allusion, sur ce point, aux premières images qui montrent le dos nu de Pauline Carton plongée dans sa baignoire ; mais à tout moment, il y a un brin de libertinage gentil : dans le gracieux harem où l’on découvre, après une forte nouba, Bob et Patrice ronflants au milieu de leurs nombreuses et charmantes amies à peine vêtues, dans la détermination des deux jeunes héroïnes, Claude May et Junie Astor à la Martinique qui prennent les initiatives et se jettent avec détermination sur les jeunes mâles Bob et Patrice, la première entraînant même d’emblée Bob dans un bain sans maillot… Dans cette trouvaille de dialogue lors d’une promenade brasillante entre Saturnin Fabre et Pauline Carton : Comment la forêt peut-elle rester vierge dans un pays aussi chaud ?.
Tout cela ne vaut évidemment pas grand chose ; mais c’est assez charmant ; ça date de la fin de 1936 : on est encore proche des illusions du Front Popu et loin de ce qui va se passer trois ans plus tard.