Un Américain bien tranquille

92c008mmDeux hommes dans la ville. Et une fille.

Les États-Unis d’Amérique ont dépensé beaucoup d’argent, dans le cadre de la lutte contre l’expansion mondiale du communisme, pour soutenir les efforts de maintenir la présence française en Indochine. Mais parallèlement, en raison d’un vertueux anticolonialisme et sous l’influence d’une multitude de groupes et d’institutions voués à la libération de peuples sous tutelle, ils ont mis sûrement autant de dollars à saboter ce qu’ils tentaient de sauver.

Ceci, qui paraît d’ailleurs une constante absolue de la politique étrangère de l’Oncle Sam est un des deux thèmes majeurs d’Un Américain bien tranquille ; thème qui s’entrelace structurellement avec celui d’une lutte amoureuse entre deux hommes pour la possession d’une jolie femme à peu près indifférente.

65968798Adapté d’un roman de Graham Greene, le film de Joseph Mankiewicz est un peu verbeux (bien qu’il comporte des trouvailles de dialogue séduisantes et étonnantes) et un peu lent ; il aurait gagné, il me semble, à être plus nerveux et plus resserré, moins dilué dans un cheminement des sentiments dont l’évidence apparaît vite au spectateur, mais dont l’émergence est trop retardée. Et cela alors que, ainsi que dans le roman, l’intrigue est fondée sur des flashbacks qui pourraient permettre des ellipses bien venues.

Saïgon 1952 ; il faudra encore plus de vingt ans pour que la cité devienne Hô-Chi-Minh-Ville, mais on sent bien que la France n’y est plus chez elle et qu’elle n’y a plus que les oripeaux de la puissance. Nom des rues, des apéritifs et des enseignes des magasins, agitation des soldats et des policiers. Les correspondants de presse du monde entier sont là pour assister au naufrage. En premier lieu Thomas Fowler (Michael Redgrave), journaliste britannique entre deux âges, dont le couple est naufragé et qui vit au jour le jour une liaison égotique avec Phuong (Giorgia Moll), ancienne congaï qu’il a tirée des soirées tarifées de taxi-girls.

68974968Fowler est politiquement, philosophiquement, historiquement sceptique et désabusé : il ne croit ni dans les dévouements, ni dans les idéaux ; alors quand arrive à Saïgon un jeune Texan d’apparence idéaliste (Audie Murphy), il ne lui ménage ni ironie, ni sarcasme ; et ceci d’autant moins que le jeune homme indique d’emblée qu’il a envie de séduire Phuong et qu’il fera tout pour la prendre. Et un peu plus avant qu’il croit à une possibilité de troisième force entre la puissance coloniale et les communistes appuyée sur l’étrange religion caodaïste.

Tout est en place pour une réflexion sur la fragilité des apparences et des alliances, mais Mankiewicz affadit passablement une intrigue qui devrait être présentée comme plus noire et plus cynique. En fait, Phuong est une fille de rien, prête à partir, à faire sa vie avec le plus offrant, même si elle préférerait que ce soit le plus jeune, qui est en plus, surtout L’Américain, qui dispose de plus de prestige social et financier que le simple Britannique. Et L’Américain, précisément, c’est vraiment un agent d’influence, un conspirateur, un magouilleur, piloté par une officine louche. Mais le réalisateur présente l’une presque comme une perle de naïveté, l’autre comme un parangon d’idéalisme.

Un_Americain_bien_tranquilleCe qui rend détestable, minable Fowler/Michael Redgrave, prêt à tout pour garder Phuong, envoyer par exemple Aden Pyle/Audie Murphy; qui lui a pourtant sauvé la vie et se traîner, s’avilir auprès de son ancienne maîtresse qui l’a délaissé.

Comme je la raconte, l’histoire n’est pas très claire, je le conçois, mais je ne parviens pas à la décrire mieux ; sans doute parce qu’elle m’a fait un peu bâiller. L’Indochine vue par Mankiewicz offre un exotisme modéré ; les acteurs sont convaincants, notamment Michael Redgrave et Giorgia Moll, mais aussi Claude Dauphin, inspecteur de police, dont la maîtrise et la subtilité de jeu me ravissent toujours. En revanche si Audie Murphy était le soldat le plus décoré de l’armée des États-Unis, il ne brillait ni par le caractère, ni par l’épaisseur du jeu…

Un Mankiewicz très mineur, dont les amateurs (dont je ne suis d’ailleurs pas) peuvent aisément se passer.

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