Prévenu par des points de vue dépités, dont le moins qu’on puisse voir est qu’ils sont réticents au mariage de la Carpe et du Lapin, c’est-à-dire de Fernandel avec l’héroïsme de la Légion, je ne m’attendais évidemment pas grand chose et j’ai été plutôt heureusement surpris.
C’est un très mauvais film, effectivement, qui ne mérite pas la moyenne mais une note un peu au dessous, déjà bien payée, un film bizarrement construit. Je constate avec amusement que le scénario et les dialogues sont de Paul Fékété qui avait une certaine continuité dans les idées puisque après Un de la Légion, il a été l’auteur de Trois de Saint-Cyr, puis des Quatre sergents du Fort Carré. Il s’est arrêté à ce chiffre, heureusement (je compte naturellement pour rien l’immortel Ploum, ploum, tra-la-la).
Première partie en bouffonnerie éternelle plutôt faible d’un pauvre type dominé par une épouse autoritaire et sèche comme une limande calcinée avec, en sus de ce salmigondis rebattu, l’atmosphère marseillaise de l’avant-guerre, telle qu’on a pu la ressasser jusqu’à la caricature avancée, si avancée qu’elle est devenue rance. Tout de même à noter l’intervention en malfrat narquois et habile de Jacques Varennes, que je croyais n’avoir jamais vu qu’en bourgeois grave, notamment chez Sacha Guitry ; mais comme je m’aperçois qu’il a tourné dans Jim la Houlette et dans Prince Bouboule, que je n’ai pas encore eu l’honneur de découvrir, je me demande s’il ne faut pas que je révise mon jugement.
Le brave Fernand Espitalion se retrouve happé par la camaraderie virile de la Légion, se fait deux bons copains, tombe sur un sergent ouvert, humain, chaleureux, Leduc, très bien interprété par Robert Le Vigan ; et sur un capitaine qui sait parler aux hommes et qui, d’emblée, leur promet de trouver à la Légion étrangère ce qu’ils cherchent, quoi que ce soit : Aventure, apaisement, oubli et qui, dans un discours fort bien venu, montre aux nouveaux engagés la force et la qualité de ce qu’ils sont venus faire en Afrique du Nord : bâtir des villes, ouvrir des routes, construire des ponts, pacifier des territoires, instruire des populations, tout cela grâce à l’esprit de corps, la solidarité, le respect des traditions, le culte des morts. Et tout cela pour le service de la France et de la Civilisation.
Waouhhh ! L’horrible discours colonialiste, n’est-ce pas ? Comment se fait-il que le DVD ait été, avec de telles conceptions rétrogrades et fascistoïdes, restauré avec le concours du Centre National de la Cinématographie ? D’autant que ce propos du capitaine Carron (Rolla Norman), évidente brute galonnée, semble avoir un effet certain sur les légionnaires qui vont désormais développer avec courage, honneur et fidélité ces idées écœurantes et risquer leur vie pour elles.
J’espère bien, d’ailleurs que, si elles lisent ma chronique, de nombreuses associations antifascistes demanderont et obtiendront l’interdiction de ce DVD scandaleux.
Je déconne, naturellement. Un de la Légion ne mérite malheureusement pas qu’on s’écharpe et qu’on se fiche des peignées. Comme on l’a remarqué, ça finit en sous-(mais vraiment sous) Bandera et les gugusseries de Fernandel ne permettent pas qu’on prenne au sérieux une seconde les féroces combats qui se déroulent et les actes d’héroïsme et de solidarité qui s’accumulent. On ne peut pas commencer un film en galéjade et le terminer en tragédie. Ou alors il faut être bien plus fort que Christian-Jaque…
Deux petites observations rigolotes :
- l’immortel Boudin, hymne de la Légion, est joué, lors du générique du film, a un rythme invraisemblablement rapide, presque comme s’il devait accompagner des Chasseurs à pied (140 pas/minute) et non pas des Légionnaires (88 pas/minute).
- lors d’une des scènes initiales, dans le train qui le conduit à Marseille, Espitalion engage la conversation avec un couple et l’émerveille par la révélation de son aérophagie (scène pénible et assez ridicule) ; eh bien l’interlocuteur de Fernandel a exactement, de profil, la tête d’Adolf Hitler : même mèche plate, même moustache carrée. Nous sommes en 1936…