Il y avait longtemps que je ne m’étais pas adonné aux troubles délices de la nanardise cinématographique, ce vice impuni qui m’a saisi il y a longtemps, et dont je ne parviens pas à me débarrasser. En achetant chez l’exploiteur René Château Une femme par jour, je faisais voler en éclat mes résolutions les plus fermes et, tel Jacques Brel rejetant toute sagesse pour beugler le retour de Mathilde, je me jetais dans le vice sus énoncé avec volupté.
Mais pour être satisfaisante, la pratique du nanard se doit d’être accompagnée d’outrances et d’aspérités qui envoient le spectateur sur une planète située dans une autre dimension, où les notions de bon goût, de mesure et de sagesse n’ont rien à voir avec la réalité quotidienne. Ainsi deux chefs-d’œuvre du genre, Ah ! Les belles bacchantes et Le Congrès des belles-mères, qui ont le culot de ne rien se refuser.
Une femme par jour, tiré d’une opérette par l’inégal Jean Boyer, capable du meilleur (Circonstances atténuantes, Nous irons à Paris) comme du pire (La chaleur du sein, Mademoiselle et son gang) présente le grave défaut d’être terriblement lisse. Ceci sous quelques réserves positives sur quoi je reviendrai.
Un jeune gommeux, Guy de Kerentrec (Jacques Pills) se voit placé à la tête d’un harem de sept ravissantes personnes, à la suite d’un gain imprévu au baccara sur le propriétaire du harem, le prince Ali Bey (Robert Burnier, excellent, et de belle stature). Mais Sabine, la jeune fille qui lui est promise et qu’il ne connaît pas (Danielle Godet, fort jolie), chaperonnée par la duchesse de Kerentrec (Denise Grey), qui est à la fois sa marraine et la tante de Guy, veut à toute force séduire le jeune homme et se débrouille pour se faire épouser, malgré les tentations affriolantes qu’on imagine.
Les pensionnaires du harem sont sept, une pour chacun des jours de la semaine, et ont été choisies pour leur diversité : une Espagnole, une Étasunienne, une Hongroise, une créole Cubaine, une Turque, une Grecque et, naturellement, une Française. Celle-ci s’enfuira un temps du sérail, permettant ainsi à Sabine, pure jeune fille, au contraire des habituelles gourgandines, d’imposer son frais minois au jeune premier.
On le voit l’intrigue est celle d’un vaudeville à fort potentiel salace. Le malheur est que, dans la France puritaine de 1948 (puritaine bien plus que celle d’avant-guerre), Jean Boyer a hésité à aller franchement dans toutes les ambiguïtés que la situation pouvait ménager. Il se permet seulement (mais c’est assez réussi) d’introduire, pour la Turque et la Grecque l’évidence d’une amitié plus que tendre qui ajoute un peu de poivre à la situation.
Cela dit, les numéros chantés et dansés (à l’exception de celui de la Cubaine Anita) sont plutôt mièvres, et hors quelques mesures, les lyrics, nombreux, ne sont pas terribles ; ils sont pourtant de Georges van Parys, habituellement mieux inspiré ; mais il est vrai que le compositeur fut fort prolifique et qu’on ne peut pas à chaque fois écrire Comme de bien entendu (pour Circonstances atténuantes, de Jean Boyer), La complainte de la Butte, (pour French cancan, de Jean Renoir), ou la valse brillante de Madame de, de Max Ophuls.
Et puis la distribution est assez triste. Jacques Pills, en jeune premier, est un peu âgé pour le rôle (il avait alors 42 ans) ; surtout il aurait sûrement mieux fait, au lieu de se lancer en solo dans les années 40, de demeurer lié avec André Tabet avec qui il formait, avant-guerre, un duo plein de charme et de fantaisie (voir l’aimable Prends la route). Denise Grey glapit beaucoup trop ; il lui faudra encore trente ans pour devenir la charmante Poupette, la grand-mère fofolle de La boum. Et encore Frédéric Duvallès, qui se trémousse et joue l’important de manière assez crispante.
Donc, on conserve peu de Une femme par jour. On s’amusera toutefois, une fois de plus, comme dans beaucoup de petits films du cinéma de quartier de l’époque, du mélange roublard de moralisme rassurant et de salacité suggérée.
L’époque était délicieusement hypocrite. Et donc hautement civilisée.