Sottes amputations.
Certes, Untel père et fils n’est pas un Duvivier majeur et pas seulement par son titre un peu ridicule ; certes les dialogues de Marcel Achard et de Charles Spaak ne donnent rien à relever d’éclatant ou de drôle ; certes, les prises de vue en studio font vraiment trop souvent carton-pâte, qu’elles prétendent représenter les pentes de Montmartre ou les toits de l’Afrique ; certes le procédé est un peu artificiel du récit de la vie d’une famille, d’une lignée, plutôt, couplé aux événements gais ou tragiques de l’histoire de notre pays ; certes le film, tourné de décembre 39 à juin 40 (il était temps !) porte sa lourde charge d’ouvrage de propagande avec ses simplifications et ses éléments mélodramatiques. Amusons-nous aussi de retrouver en pionnier de l’aviation et en héros de la Guerre Robert Le Vigan qui devait, lorsque le film est sorti en 1945 sur les écrans français se trouver du côté de Sigmaringen (et notons que Duvivier témoigna en sa faveur à son procès pour collaboration, plaidant l’irresponsabilité).
Mais je gage que si Untel père et fils n’avait pas été amputé d’un large tiers de sa substance, il aurait bien meilleure figure. Seulement ce charcutage aboutit à d’incompréhensibles ellipses ou à des failles béantes du récit. Ainsi, par exemple, la disparition de Pierre Froment (Louis Jouvet) qui voit la femme qu’il aime, Gabrielle (Renée Devillers), se marier avec son frère Bernard (Lucien Nat) en 1889, qui part au loin et qu’on ne retrouve qu’en 1931, en Afrique… Il est vraisemblable que parmi les séquences amputées, il y en a quelques unes qui montrent l’ingénieur colonial qui a passé sa vie à construire ponts et routes essayer d’oublier son amour de jeunesse ; ainsi, peut-être de façon moins visible, la vie du foyer formé par Marie (Michèle Morgan), qu’on voit à peine, et Robert (Harry Krimer), presque passée sous silence…
Jouvet gommé, qu’est-ce qui reste ? Suzy Prim, la vieille fille Estelle, qui aura passé son existence à vivre pour les autres, ses frères cadets quand elle était adolescente, les blessés de la Grande guerre et tous les blessés de la vie et, en dernier lieu son oncle Jules (Raimu) qui n’a que quelques années de plus qu’elle, a connu la gaieté, la ripaille et la galanterie mais qui est tombé dans la dèche noire pour avoir trop cru aux emprunts russes : il y a, entre eux deux, une bien belle scène noirâtre, triste comme tout, sur ces deux parallèles qui ne se sont jamais rencontrées…
Distribution de qualité, sous les réserves dites. Amusant de noter qu’en 1948 Henri Decoin, dans Les amoureux sont seuls au monde mariera Louis Jouvet et Renée Devillers ; mais ça ne se terminera pas mieux…
Toujours est-il que, puisque la version complète de 122 minutes existe et a été diffusée à la Cinémathèque, on se demande pourquoi Gaumont ne l’a pas présentée dans le DVD…