Urgences

La nuit qui s’étend.

Je pensais que Raymond Depardon, grand photographe et réalisateur avait porté son regard si pénétrant et ses manières de montrer sans employer de commentaires, en disparaissant le plus possible derrière une simple caméra, je pensais donc à un film sur l’affreux caravansérail des Urgences hospitalières. J’ai eu tort, avant de télécharger le film de ne pas avoir lu qu’il s’agissait en fait d’un reportage sur le service psychiatrique de l’Hôtel-Dieu de Paris et exclusivement sur ces terribles troubles du comportement et de l’abolition de la raison.

Ai-je raison d’avoir été un peu déçu ? Sans doute non ; mais je pensais, avec une avidité assez médiocre d’images spectaculaire, même légèrement voyeuse que le film s’aventurait vers le tohu-bohu hurleur des arrivées des policiers ou des pompiers ou amenés par le SAMU social ou par des pauvres gens isolés obligés de venir par on ne sait quelle crise ou blessure. Petite confidence personnelle : après m’être sottement luxé une prothèse de hanche (douleur abominable, impossibilité totale de se mouvoir), j’ai été amené à passer toute une nuit dans une salle où les gémissements, les cris, les pleurs, les interpellations furieuses adressées aux personnels, souvent simplement pour gueuler donnaient une image assez réussie de ce que pourrait être l’Enfer. Des ivrognes, des fous furieux, des hurleurs, des crétins, des gens qui exigent à chaque minute un verre d’eau, un yaourt, un vase, une compresse, un mouchoir. Des gens qui souffrent.

Urgences montre des images d’apparence plus sages : des consultations psychiatriques ; à l’exception de la première séquence (un alcoolique qui menace presque physiquement un médecin), tout se fait dans le calme, dans des entretiens paisibles où les praticiens interrogent des patients sages. Pour autant quel abysse terrifiant que ces pauvres gens perdus ! Trouble de la concentration pour l’un, envie de suicide sans apparente raison pour une autre, qui a ingéré des boîtes entières de médicaments et doit subir un lavage d’estomac, burn-out d’un conducteur d’autobus qui a dû s’arrêter brusquement place de l’Opéra sous peine de mettre en péril les voyageurs… et une jeune fille assez jolie, mais marginale, droguée et par-dessus le marché, enceinte.

Aussi une femme âgée, haineuse de la vie et des hommes qui ne lui ont fait que du mal parce qu’elle est trop bonne. Et qui dit Je n’ai que le droit d’avoir toujours tort Un homosexuel désemparé, une jeune fille douce qui voudrait être pianiste et ne rêve que de sauver les autres.

Situations déprimantes de gens complétement désorientés qui se débattent dans une terrible solitude. Les médecins sont d’une douceur, d’un calme, d’une patience à toute épreuve ; ils sont là pour ça et ils ont l’habitude, me dira-t-on ? N’empêche que dans le cadre moche des couloirs et des bureaux de l’hôpital, ses petits carrelages marronasses, ses éclairages au néon, ses portes qui grincent, ils apaisent.

Je retrouve une phrase de Georges Bernanos (qui s’applique aux pécheurs dans Sous le soleil de Satan, mais qui va très bien dans Urgences si on l’étend à la maladie mentale : Pour quelques misérables dévorés vifs et dont les cris nous épouvantent, que d’autres sont déjà froids, et qui ne sont même plus des morts, mais des sépulcres vides.

Pas si mal, finalement, Urgences.

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