J’ai souvent écrit que tout le monde n’avait pas la chance, comme Jacques Becker, de partir ad patres sur un dernier grand film (Le trou en l’espèce) et que, malheureusement beaucoup de grands réalisateurs achèvent mal leur carrière… Songeons aux dernières œuvres de Duvivier, de Carné, d’Autant-Lara…
Et de Philippe de Broca donc, aussi, dont Vipère au poing ne laisse rien subsister d’un cinéaste qui fut un funambule délicieux, plein de grâce, d’esprit, de fantaisie (L’homme de Rio, Le magnifique, L’incorrigible, Le cavaleur…). Voilà une adaptation pesante, ennuyeuse, corsetée dans sa reconstitution d’époque où le décorateur et l’accessoiriste ont mis tous leurs efforts à ne pas oublier un chapeau cloche ou un ocarina, mais où l’on reste terriblement extérieur. Et ceci alors même que le sujet est en or massif et que cette histoire d’affreuse marâtre sadique, malheureuse, cruelle et déchirée a tout pour bien fonctionner.
Indépendamment de la vraisemblable fatigue de Broca pendant le tournage (il va mourir un mois et demi après la sortie du film), je crois que le péché majeur de Vipère au poing est sa distribution ; et plutôt la distribution des deux rôles majeurs.
Écrivant ceci, je me dis qu’il est vraisemblable que mon jugement soit largement faussé, et en tout cas très influencé par le souvenir du téléfilm réalisé par Pierre Cardinal en 1971, un modèle de brutalité et d’émotion. Marcel Cuvelier y incarnait le faible M. Rézeau, celui qui ne veut rien voir, rien savoir, rien comprendre, rien changer au paysage, au gouffre de sa vie gâchée ; son visage était plus souffrant, plus terne, plus effacé que celui de l’excellent Jacques Villeret, trop en rondeur et souvent un peu ridicule.
Et surtout, Folcoche, la haineuse, la bouclée à l’intérieur de sa propre haine, c’était Alice Sapritch. Une actrice immense, exigeante, confinée par son physique dans des rôles ingrats, qui a joué Eschyle, Pirandello, Beckett, qui fut, à la télévision, une laide, sèche, vipérine Cousine Bette dans une adaptation de Yves-André Hubert. Et malheureusement, la même année que Vipère au poing, l’immense succès de La folie des grandeurs de Gérard Oury, où elle interprète une grotesque duègne en chaleur. Ceux qui ne conservent d’elle que son image de folle évaporée nymphomane, complice des pires nanars du cinéma français, aux côtés de Paul Préboist et de Michel Galabru ne peuvent pas imaginer ce qu’il y avait de sensibilité et d’intelligence dans son jeu. Ce qu’il pouvait y avoir de dureté dans un de ses regards, aussi.
J’aime beaucoup Catherine Frot, remarquable actrice de second rang ; elle sait tout jouer : la gentille idiote d’Un air de famille, l’idiote intrigante du Dîner de cons, la femme inquiète traquée par son passé de Cavale. De là à dire qu’elle peut porter sur ses épaules tout un film, c’est une autre histoire… Je sais bien qu’elle le fait, pour des rôles légers, souvent avec Pascal Thomas (La dilettante, Mon petit doigt m’a dit et ses suites), mais précisément ce sont des rôles limités. Le personnage de Folcoche écrase tellement le récit autobiographique d’Hervé Bazin qu’il faut pour l’incarner un extraordinaire concentré de fiel et de venin. Alice Sapritch l’avait, Catherine Frot ne l’a pas et, de fait, je ne crois pas l’avoir vue aussi mauvaise que dans le film de Broca. Elle ajoute à chaque dureté qu’elle dit à ses enfants ou à son entourage une mimique qui se veut expressive et qui est une redondance superflue, agaçante à la longue.
Au bout du compte, voilà un film sans personnalité, ni épaisseur, ni caractère. Dommage, n’est-ce pas ?