C’est vraiment ce que j’ai vu de moins bon de ce vieux pirate sceptique et sarcastique de Luis Bunuel et c’est en en tout cas bien en deçà des œuvres majeures de la période antérieure (mexicaine), Los Olvidados, Tourments, La vie criminelle d’Archibald de La Cruz et de la période suivante (française), Le journal d’une femme de chambre, Belle de jour, Cet obscur objet du désir.
Invité à réaliser un film de névrose et de perversion, dans l’Espagne rigoriste de 1961, par un régime qui voyait alors comme un grand avantage – et une habile manœuvre – une sorte de trêve, voire de réconciliation avec un vieux libertaire anticlérical, voilà-t-il pas qu’il fait tout son possible pour rendre inadmissible son ouvrage. Et ça n’a pas raté : protestations du Vatican, interdiction par l’administration ibérique (puis, plus tard, « dénationalisation » du film qui, d’espagnol devint mexicain), succès de scandale assuré avec, en plus, l’attribution de la Palme d’Or de Cannes (ex-æquo avec Une aussi longue absence) dans des conditions assez douteuses.
À accumuler les provocations, donne-t-on du talent à un film ? Peut-être quelquefois, mais guère trop en l’espèce. On pourrait dire, évidemment, que Luis Bunuel ne fait que réaffirmer ses habituelles obsessions, souvent si magnifiquement mises en scène : névroses sexuelles (fétichisme, nécrophilie, inceste, profanation de l’innocence), son mépris pour l’institution religieuse, son goût du bizarre, du grotesque, de l’infirmité. Tout cela n’a de fait rien de nouveau et la collection d’affreux miséreux sortis d’eaux-fortes à la Goya, leur confrontation avec la bourgeoisie mécréante, éclairée mais aussi chargée de frustrations érotiques est constante chez le cinéaste.
D’ailleurs, si l’on met à part le concert d’indignation des âmes bien-pensantes, évident à l’époque et dans l’environnement socio-politique, ce n’est pas cela qui fait de Viridiana un film qui ne possède pas la farouche vitalité sardonique des meilleures œuvres de Bunuel. Après tout, accomplir un sacrilège, c’est reconnaître de la force et de la puissance à ce que l’on veut attaquer. Et c’est ainsi qu’on peut définir la profanation : le respect d’un ordre social et sa négation parallèle. C’est plutôt que Viridiana est ennuyeux et longuet, quoique bref (90 minutes) et profondément déséquilibré.
J’ajoute que la vertueuse indignation ressentie en Espagne devant ce film jugé sacrilège n’empêcha nullement Bunuel de venir tourner Tristana huit ou neuf ans plus tard à Tolède. Ce qui, de mon point de vue, démontre très suffisamment que le régime autoritaire du général Franco n’avait rien à voir avec les bien réelles dictatures de l’époque et de toujours…. Croyez-vous que la chose aurait pu se faire dans l’Union soviétique ou le Cuba de l’époque (ou la Corée du Nord d’aujourd’hui) ?