Z possède un tel rythme, une telle tension, une telle qualité d’interprétation qu’il parvient presque à faire oublier les outrances militantes du réalisateur Costa Gavras dans la confrontation entre les ridicules méchants militaires et les ridicules gentils pacifistes. Ayant depuis longtemps échappé à l’actualité de la grotesque dictature des colonels grecs, le film se bonifie avec l’âge grâce à son efficacité dramatique.
Et d’ailleurs, de fait, il gagne encore en intérêt dans sa seconde partie, au moment où l’intrigue se concentre sur l’enquête obstinée menée par le Juge (Jean-Louis Trintignant) et qu’il se dépouille de beaucoup de ses aspects conjoncturels pour se concentrer sur l’épure judiciaire et sur la mise à bas de plus en plus rapide de tous les paravents disposés par le Pouvoir pour dissimuler la réalité de l’assassinat du Député (Yves Montand). On sent alors de façon presque palpable la panique qui gagne les plus hauts échelons de la hiérarchie et on voit la bulle inéluctable qui va éclater. C’est vraiment très bien fait.
Pourtant Costa Gavras manque quelquefois un peu de finesse. Il abuse des flashbacks, sans doute souvent nécessaires et bienvenus quand il s’agit de faire revivre la soirée du crime mais aussi moins pertinents, ainsi la remémoration par la femme (Irène Papas) du Député de l’aventure que son mari a pu avoir, scène qui n’apporte absolument rien au récit. Il abuse également de quelques facilités un peu nigaudes comme celles de la succession finale des interrogatoires où tour à tour les responsables de l’assassinat, du plus insignifiant (Hassan Hassani) au plus important (Julien Guiomar) jusqu’au plus gradé (Pierre Dux) sont inculpés. Et qu’ils quittent le bureau du Juge par le même couloir, échouent à s’éclipser par la porte dérobée, toujours verrouillée et tombent sur un magma de journalistes de plus en plus nombreux. Mais ce ne sont là que broutilles par rapport au souffle réel du film.
Admirer aussi la capacité du réalisateur de faire entrer le spectateur dans les mondes particuliers de beaucoup de ses personnages, à sauter de l’un à l’autre sans jamais en perdre le fil, de passer de l’angoisse des amis du Député (Jean Bouise, Bernard Fresson, Charles Denner) aux complots chuchotés des militaires, aux agacements des magistrats (François Périer). Une mention spéciale pour le personnage de Vago le tueur (Marcel Bozzuffi, absolument bluffant), homosexuel compulsif dont la seule présence introduit le malaise (ainsi la séquence avec le journaliste/José Artur, mais aussi la brève scène de drague avec un adolescent qui joue au flipper).
Autre remarque, qui permet peut-être aussi de comprendre pourquoi le film n’a pas pris une ride et conserve sa force plus de quarante ans après la fin de la brève et ridicule dictature des colonels grecs : l’intemporalité volontaire, très habile. Personne n’ignore que Z est la transposition à l’écran du meurtre, en 1963, à Salonique, du député Gregoris Lambrakis, de l’enquête qui s’est ensuivie, du climat de troubles qui a abouti à la prise du pouvoir par Georges Papadopoulos et les militaires en avril 1967. C’est tout à fait transparent et renforcé encore par l’atmosphère filmée, le décor, quelques enseignes qui apparaissent ici et là. Et pourtant, à part les amis du Député, les personnages n’ont pas de nom : il y a le Juge, le Journaliste, le Procureur, le Colonel, le Général, autant de figures symboliques qui permettent de mettre en scène des archétypes et à les rendre universels.
Car – voilà ma minute de provocation – un film un peu analogue aurait pu mettre en scène l’assassinat, le 13 juillet 1936, de José Calvo Sotelo, un des chefs de la Droite nationaliste, après l’ukase en forme de menace lancé sur lui aux Cortès (l’Assemblée nationale) par la Pasionaria communiste, Dolorès Ibarruri : Cet homme vient de parler ici pour la dernière fois !.
Qui a dit que les temps changent ?