Zodiac

Si lourd en restant très plat…

Ce qui est simple est faux, mais ce qui est compliqué est inutilisable a écrit quelque part (mais je ne sais plus où) Paul Valéry. En d’autres termes, quand un cinéaste entreprend de montrer avec un souci presque maniaque ce qu’est la réalité d’une enquête s’étageant sur une bonne décennie et qu’il le fait en respectant toutes les fausses pistes ouvertes, toutes les déceptions rencontrées, tous les dérisoires petits pas des progressions, toutes les minuties procédurales (survenant, de surcroît, dans un pays où les polices dépendent d’autorités politiques et géographiques différentes), toutes les mauvaises surprises et les erreurs humaines des enquêtes, il est à parier qu’il devient totalement enquiquinant.

Ce que David Fincher propose est en effet à peu près aussi excitant que la lecture par le greffier, lors d’un procès d’assises, des trois ou quatre mille pages sanglées dans des dossiers ventripotents apportés par tombereaux entiers devant la Cour et les jurés. Sans doute la recension précise, exacte, méticuleuse des faits exige-t-elle cette abondance, mais le cinéma est un art dramatique : pour rendre le son vrai de la vie, en tout cas pour le faire entendre et voir au spectateur, il est obligé de passer par des artifices qui sont, précisément, les qualités de l’artiste et du conteur. Tenez ! Un exemple pris dans la réalité : amusez-vous à enregistrer un jour une conversation entre deux bons causeurs ou même deux brillants causeurs ; retranscrivez là ensuite mot à mot, sans oublier les répétitions, les chevilles, les redondances, les euh et les bon, les premièrement qui ne seront jamais suivis d’un deuxièmement et de tout un tas de scories langagières. Vous serez assurément surpris de lire ce galimatias. Tout l’art du romancier et, au cinéma, tout l’art du dialoguiste va être de donner une impression de réalité à ce qui n’est pas la réalité vraie.

Eh bien même si Zodiac, qui pourrait durer 4 ou 5h ne dure que 2h40, il transporte une pesanteur, un ennui, une faiblesse de rythme tels qu’on en vient à se dire que c’est un film parfaitement inutile. J’avais eu un sentiment un peu analogue il y a quelque temps devant la lourde mise en images de l’affaire du Watergate par Alan J. Pakula, qui s’appelle Les hommes du Président. Là aussi, sans dramatisation aucune (c’est-à-dire si on a bien suivi ce que j’ai écrit plus avant, sans mise en situation artistique), le cinéaste avait scrupuleusement et sagement filmé l’enquête qui aboutit à la ridicule destitution du Président Richard Nixon. Et je pourrais reprendre pratiquement tout ce que j’avais écrit sur ce film en l’appliquant à Zodiac ; je ne résiste pas, d’ailleurs, au dégradant mais délicieux plaisir de me citer mot pour mot : Si ça commence assez bien, avec des images de thriller impeccables, ça se perd au fur et à mesure que l’enquête avance, comme le mince fil d’eau de l’oued se perd dans les sables. On finit par ne plus rien comprendre, par mélanger tous les noms cités, qui correspondent à des personnages que, pour la plupart, on ne verra pas à l’écran, à être dépité par l’enchevêtrement tortueux de l’intrigue et, finalement, par le faux suspense de l’histoire, dont on sait comment elle s’est terminée.

Au moins le film de Pakula permettait-il de comprendre un peu les singuliers mécanismes judiciaires étasuniens. Mais Zodiac n’apprend rien ou si peu ! Et puis – et on l’a dit avec raison – l’histoire de ce serial killer est contée, de façon haletante dans L’inspecteur Harry, sous une forme évidemment moins conforme aux lourdes archives qui ont été compilées par le véritable Robert Graysmith (interprété dans le film par Jake Gyllenhaal), mais assurément plus excitante. Parce que, ainsi qu’on l’a beaucoup remarqué, il n’y a pas dans Zodiac plus de deux ou trois images qui fichent un peu la trouille : tout a (même les meurtres) un côté clinique, donc profondément barbant.

On me répétera que c’est tout à fait conforme à la réalité de l’enquête ; je répondrai encore une fois que je m’en tape, parce que ce que je veux, c’est ressentir une émotion, non pas assister à la démonstration d’un théorème.

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