Le futur n’a plus d’avenir.
Scabreux exercice que de se livrer à une glose nouvelle et d’interpréter ce chef-d’œuvre cinématographique en déposant la deux-millième variation sur le monolithe, le voyage spatio-temporel, le retour sur Terre de Dave-foetus et toute la kyrielle de questions posées par une philosophie un peu naïve, à mes yeux, qui n’est pas tout à fait à l’amble des images sublimes de Kubrick.
Mais, après avoir lu l’autre jour une chronique (de Roger-Pol Droit dans Le Monde) sur la disparition des Martiens dans notre imaginaire, je me suis reprojeté une dixième fois 2001 en essayant de me replacer dans la fraîcheur d’âme de sa découverte, il y a quarante ans. Si sa magnifique lenteur hiératique est toujours aussi grave et si sa composition artistique, sa beauté plastique, ses trouvailles musicales géniales, sa froideur émotionnelle laissent toujours aussi pantois, j’ai l’impression qu’on est passé d’un immense film de science-fiction (le plus grand sans doute) à une fiction tout court, tant ce sujet de l’exploration spatiale et du dépassement de nos bornes semble aujourd’hui daté.
En 1968, date de tournage, on vit une duo-décennie qui, du premier spoutnik, en 1957, aux pas d’Armstrong sur la lune, en 1969 a vu l’Humanité, éberluée, puis émerveillée conquérir chaque saison de nouveaux espaces ; on ne peut pas vraiment douter, quoiqu’en disent de prudents esprits, que Mars et Vénus seront vite approchés et explorés ; dès lors, imaginer, à l’aune des stupéfiants progrès vécus en quelques années, qu’on pourra se diriger vers Jupiter en la première année du 21ème siècle n’est pas vraiment une billevesée : juste une anticipation.
Remarque assez rigolote : au moment où l’on se voit bien avoir trouvé la recette de la conquête spatiale, on n’imagine pas la fulgurance du développement des ordinateurs, chaque saison rendant obsolète la saison précédente, en termes de rapidité et de capacité : c’est ainsi que lorsque Dave débranche Carl (Hal), après les gémissements Ma mémoire se vide… J’ai peur, on entend que la mise en service opérationnelle du cerveau électronique est intervenue le 12 janvier 1992, neuf ans avant la mission ; vous souvenez-vous aujourd’hui, en 2008, de ce qu’étaient les ordinateurs en 1999 ? Le progrès ne va jamais dans les directions que l’on imaginait.
Cette incidente faite, comment ne pas constater qu’aujourd’hui, tout le monde se tamponne de Mars et de Jupiter, et qu’il faut que la NASA mendie quelques crédits pour entretenir l’outil de travail, en aucun cas pour le développer (et, au fait, avez-vous entendu Obama ou Mac Cain aborder le sujet, durant leur campagne électorale ?)…
Mon interprétation – toute personnelle – est que la vitalité de l’Occident – seul capable naguère et encore aujourd’hui, scientifiquement et financièrement de réaliser des exploits techniques de cette dimension -, que cette vitalité est en berne, que l’Occident n’a plus ni l’esprit, ni le goût de l’Exploration qui le jeta sur les routes du Monde et de l’Espace durant des siècles. Passion de la conservation, refus de l’aventure, scrupules éthiques, tout se mêle pour nous confiner sur notre bien agréable terroir…
Alors ? Qui ira sur Jupiter un jour, voir si un monolithe noir tournoie sur ses confins ? Des Chinois, des Indiens ? Allez savoir ! Le futur est mal parti…