Très curieux film, qui mêle le drame absolu du viol et du massacre d’une jeune fille et la volonté obsessionnelle de vengeance de sa mère à des scènes presque burlesques et à des doses continues d’humour noir. On a évoqué à son propos la manière des frères Joel et Ethan Coen et de fait rien ne leur ressemble autant, même si le point de départ est infiniment plus tragique. Mais la présence au premier plan de Frances McDormand, actrice habituée du duo Coen (et accessoirement femme de Joel) va d’ailleurs tout à fait dans ce sens. On pourrait aussi quelquefois évoquer le tissu de Twin peaks de David Lynch dans le regard narquois et souvent un peu effaré devant la marinade confinée (et assez puante) des bourgades où tout le monde se connaît, se croise et s’entrecroise, s’espionne, s’épie et se déteste.
Le scénario est d’une grande originalité (d’ailleurs couronné à la Mostra de Venise) et le film a recueilli une grande quantité de récompenses dans les palmarès et festivals internationaux. Je n’attache pas la moindre importance à ces trophées, souvent dictés par le merchandising et le politiquement correct mais il faut bien donner acte que Frances McDormand, en tête d’affiche et Sam Rockwell dans un second rôle ont tout à fait mérité d’être récompensés par la statuette des Oscar. La musique est plaisante et il y a quelques belles images de nature (ce qui n’est pas, au demeurant, le plus difficile au cinéma tant le Bon Dieu a créé de multiples splendeurs).
De quoi s’agit-il, au fait ? Angela (Kathryn Newton), la fille un peu rebelle, un peu droguée, un peu exaspérante de Mildred (Frances McDormand) et de Charlie Hayes (John Hawkes) – qui vient de quitter sa légitime pour la jeunette Pénélope (Samara Weaving) – a été violée et assassinée sur le chemin de sa maison. L’aurait-elle été si sa mère lui avait prêté sa voiture, comme elle le demandait, alors qu’elle le lui a refusé ? C’est cette enclume de culpabilité que porte Mildred sur ses épaules.
Que faire, puisque la police n’est pas parvenue à trouver l’assassin ? Mildred est en révolte contre le monde entier, parce qu’elle se sent responsable, parce qu’elle n’admet pas qu’on puisse classer le dossier qui est le seul qui l’intéresse dans sa vie dévastée. Ce qui la conduit aux décisions les plus provocatrices, les plus extrêmes : faire placarder sur trois panneaux publicitaires immenses une sorte d’accusation du laxisme des autorités et singulièrement du shérif Bill Willoughby (Woody Harrelson) qui a cependant fait ce qu’il a pu pour élucider l’énigme de l’assassinat d’Angela. Bill est pourtant un brave type, très proche de sa femme Ann (Abbie Cornish) et de ses deux filles, mais il est atteint d’un cancer violent qui ne va pas lui laisser beaucoup de répit.
Ce geste de révolte sème dans la bourgade une atmosphère désagréable. Mildred est vilipendée par la grande majorité de la population, qui apprécie généralement le shérif ; et plus encore lorsqu’après une forte crise hémorragique, après avoir passé une journée de bon temps en famille, il se suicidera d’une balle dans la tête. Il a écrit des lettres d’adieu, à sa famille bien sûr, mais aussi à un des policiers de son équipe, un rebelle, violent, raciste, brutal, en qui il a perçu pourtant des qualités : c’est Jason Dixon (Sam Rockwell) qui, en quelque sorte touché par la grâce, va s’efforcer de retrouver le violeur assassin.
Grande qualité que de laisser, après mille péripéties, la fin du film assez ouverte ; on a retrouvé un assassin. Celui d’Angela ? Sans doute non ; mais incontestablement un assassin. Mildred et Jason cinglent du Missouri vers l’Idaho, ce qui n’est pas un petit chemin. Que feront-ils là-bas ? Le film s’achève. On ne sait pas.
Il est bien agréable de ne pas avoir de réponses toutes faites à des questions qu’on ne se pose pas.