Rien n’est plus difficile que de réaliser un film burlesque, enlevé, fantaisiste. Un film où se côtoient plusieurs histoires ; un film de pieds nickelés qui se lancent follement dans une entreprise aussi folle : un hold-up de petits marginaux inconscients. C’est très difficile : il faut de l’ingéniosité, de l’inventivité, un sens très fort des situations cocasses ; et aussi du rythme, du rythme, du rythme. Comme les meilleures pièces de boulevard – celles d’Eugène Labiche ou de Georges Feydeau (rien moins !), nécessité d’une horlogerie très précise, très méticuleusement montée où la bouffonnerie peut n’être pas absente, mais doit être employée avec précaution.
Et il faut aussi d’excellents acteurs pour porter le fardeau. C’est sûrement sur ce plan-là que Tout pour l’oseille est le moins raté. Bertrand van Effenterre a eu la main aussi heureuse que dans l’autre film de lui que j’ai vu, Tumultes où les interprétations étaient aussi réussies… mais le sujet tout aussi pâle malgré sa gravité.
À l’inverse Tout pour l’oseille se veut drôle et déjanté. Bâti autour de quelques marginaux, plutôt de deux d’entre eux : deux frères. L’un Paulo (Laurent Lucas), impeccable), débile léger qui vit, d’ailleurs dans un centre pour handicapés mentaux Les Patiences et qui joint de la tendresse à sa violence ; l’autre, Charlie (Bruno Putzulu), minable petit parasite qui a bien de la chance de vivre avec Prune (Sylvie Testud, comme toujours excellente) qui fait bouillir la marmite en étant hôtesse de surface (c’est-à-dire femme de ménage) dans une association vouée à recueillir des fonds pour lutter contre une maladie qui frappe les vieillards. Notons que le président de cette association, Patrick Croissard (Patrick Braoudé) ressemble trait pour de trait à Jacques Crozemarie, président concussionnaire de l‘Association pour la recherche sur le cancer (ARC). Faire appel à la bienveillance larmoyante de l’opinion marche toujours.
Ajoutons à ce trio un doux rêveur sympathique, Frédéric (Thomas Jouannet), bizarre artiste peintre qui, par nécessité se transforme en peintre en bâtiment et un couple qui se sépare en se déchirant, Antoine (Christophe Alévêque), homme de main ou, si l’on préfère, aide de camp du concussionnaire Croissard et sa femme, avec qui il est en train de divorcer, Marion (Alexia Portal, charmante, piquante séduisante). Mettons tout ce monde dans la centrifugeuse et regardons ce qui va arriver.
Le souci, c’est qu’il n’arrive rien, précisément et qu’on s’ennuie considérablement, alors même que, sur l’écran, les péripéties s’enchaînent et se multiplient. Mais un film, précisément, ce n’est pas une succession de moments, de courtes aventures, de scènes où les acteurs se donnent l’occasion de briller. On a beau écrire convenablement, offrir des formules brillante, frapper des expressions fortes, on n’est pas pour autant un écrivain ; seulement un écriveur.
Et de la même façon, au cinéma, ce n’est pas parce que l’on mixe d’excellents acteurs, un scénario qui n’est pas plus idiot qu’un autre et une façon de filmer traditionnelle, tranquille et bien léchée que l’on va arriver à réaliser un bon film.