Qu’est-ce qui a bien pu pousser John Kennedy, puis Lyndon Johnson, puis Richard Nixon à partir s’engluer dans le bourbier de l’Asie du Sud-Est, sinon la manie étasunienne, catastrophique et permanente, d’aller se mêler de ce qui ne les regarde pas, manie qui leur fait mettre le feu avec constance aux quatre coins du monde et qui nous vaut l’état de guerre presque permanent que nous subissons en nous soumettant à leurs ukases. Faisant semblant de vouloir arranger les choses – qui se règleraient tranquillement sans eux dans des conflits limités – ils les rendent naturellement bien pire qu’elles n’étaient auparavant.
Ainsi sont-ils adeptes de la théorie des dominos selon quoi le basculement d’un État dans le mauvais camp, réellement ou fallacieusement entraine forcément le basculement des États circonvoisins. Idiote appréciation : lorsqu’un pays est un peu intelligent et surtout qu’il a derrière lui une forte dimension diplomatique, il utilise la stratégie des échecs, ce qui est infiniment plus intelligent. La Grande-Bretagne est l’exemple même de ceci et la France l’était jusqu’à ce que les quatre derniers Présidents de la République enterrent les puissantes traditions du Quai d’Orsay. À partir du moment où l’Inde, en 1947, la Chine et l’Indonésie en 1949, la Corée du Nord en 1954 devenaient indépendantes, l’Occident aurait dû comprendre qu’il fallait se tirer de ce capharnaüm sanguinolent.
Platoon décrit le merdier dans toute sa splendeur. Oliver Stone ayant lui-même combattu au Vietnam, je ne doute pas de la véracité des scènes, sans doute plus fidèles à la réalité que ne le sont Apocalypse Now, Voyage au bout de l’enfer ou Full métal Jacket.Mais de même que Fabrice Del Dongo ne comprend rien à la bataille de Waterloo qui se déroule sous ses yeux (dans La chartreuse de Parme, pour les incultes) le spectateur qui n’a nulle prévention contre le réalisateur (qu’il connaît à peine, n’ayant vu que le médiocre Snowden) décroche très rapidement.
Et puis quel ennui, ce film tellement célébré qui semble ne survivre que grâce à son thème musical, le fameux Adagio de Barber et quelques mesures de Georges Delerue. De ce film très célèbre et apprécié par des tas de gens, que peut-on conserver ? Des physionomies toutes semblables de soldats, maculées de sang, épuisées par la fatigue, entachées par l’usage intensif de toute les drogues que la sympathique Asie met à disposition de nos Occidentaux ?
Au fait je défie qui que ce soit de reconnaître, au fil des séquences, la nature des mecs qui apparaissent sur l’écran, leurs identités, leurs personnalités : ils se ressemblent tous, à quelques iotas près et c’est vraiment une des plus belles nullités cinématographiques qui se puisse cela. À part les figures principales, le sergent-chef Bob Barnes (Tom Berenger) et le sergent Elias Grodinque (Willem Dafoe) si l’on veut. Comme les deux acteurs principaux et se détestent jusqu’à se tuer (si j’ai bien compris, ce qui n’est pas certain) et qu’ils sont avant tout des chefs de bande, on saisit mal les jeux d’adhésion ou les changements d’allégeance qui se produisent. Par exemple j’ai confondu jusqu’à la fin le médiocre lieutenant Wolf (Mark Moses) et le narrateur du film le soldat Chris Taylor (Charlie Sheen) qui se ressemblent beaucoup et sont aussi inconsistants l’un que l’autre.
Au mieux, il y a une manière de filmer des prises de vues sous la pluie battante, sous la végétation envahissante, dans la boue tiède de l’Indochine ; ce n’est tout de même pas du niveau des nombreux films qui présentent, offrent et explorent la péninsule au regard de l’Occident. Il me semble que La 317è section, avec des moyens bien inférieurs offrait beaucoup mieux. Il est vrai que c’était encore un peu l’Indochine française et que Pierre Schœndœrffer avait aussi combattu sous ces tropiques.