Un film qui n’est pas mon genre. Mais…
Ah là là, on se demande quelquefois pourquoi on éprouve de l’attirance pour une œuvre ou une personne qui ne correspond à rien à ce qu’on chérit de coutume (c’est l’apostrophe célèbre de Swann sur Odette : « dire (que j’ai fait tout ça) pour quelqu’un qui n’était même pas mon genre ! »)…
Le fait est que je ne me lasse pas de voir et revoir 37°2 le matin, alors que j’avais trouvé Diva ridicule et artificiel, que Béatrice Dalle est exactement le genre de femmes qui, si la chose était possible et envisageable, m’amènerait à modifier mes moeurs (qui sont des plus classiques) et que la quéquette flasque complaisamment exhibée de Jean-Hugues Anglade me conduit plutôt à une sympathie narquoise qu’à une admiration ambiguë.
Qu’est-ce qui reste ? Dans les réussites incontestables, la musique inoubliable de Gabriel Yared, une façon d’éclairer les scènes qui séduit un côté un peu veule de ma personnalité, une histoire à la fois invraisemblable et attachante…
Ca ne suffit pas, assurément, à faire un bon film.
Mais un de mes films préférés, sûrement oui…
11 mai 2006
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Si l’on gonfle un film de 2 heures, déjà mal fichu, déséquilibré, mais profondément fascinant, de séquences disparates pour porter sa durée à 3 heures, il y a toute chance qu’on obtienne un objet filmique encore plus mal fichu et plus déséquilibré. Mais assurément moins fascinant. Voilà pourtant ce qui s’est passé entre la version initiale de 37°2 et son édition en DVD. Et j’ai l’impression – mais sans certitude objective – que Jean-Jacques Beineix a surtout gonflé la partie la moins convaincante du film, l’espèce de ventre mou qui assure la jonction entre la force solaire du début, la rencontre de Betty (Béatrice Dalle) et de Zorg (Jean-Hugues Anglade) sur la plage de Gruissan et la gluante descente aux enfers de la conclusion, jusqu’à l’étouffement de Betty, aussi aimant et désespéré qu’est Jean-Louis Trintignant vis-à-vis d’Emmanuelle Riva dans Amour (scène identique, jusqu’à l’usage de l’oreiller).
Dès lors, au gré de ces trois heures, j’ai erré dans un monument emphatique, souvent creux, quelquefois magnifique, au gré des lumières de Jean-François Robin et des musiques de Gabriel Yared, monument qui fit date à l’époque de sa sortie et donna à Beineix une notoriété aujourd’hui en miettes.
Je ne connais pas le roman de Philippe Djian dont le film est adapté ; je l’imagine aussi excessif et baroque, mais j’ai toujours estimé que ce qui peut passer dans un texte, y compris les expressions les plus littéraires (Betty m’a fait penser à une fleur étrange munie d’antennes translucides et d’un cœur en skaï mauve) pouvait plus difficilement s’admettre au cinéma. Et cette histoire de bruit, de sexe et de fureur, tout cela démesuré et violent, plein d’excès et d’outrances vous laisse, la fin survenue, un peu choqué, un peu secoué mais aussi un peu perplexe.
On voit bien que tout est folie, dans 37°2, folie, psychose, hystérie : folie amoureuse des deux amants, folie de leur installation à Marvejols (chef-lieu de canton – 5000 habitants – de la Lozère, département le moins peuplé de France) pour vendre des pianos, folie alcoolisée du couple ami Eddy (Gérard Darmon) et Lisa (Consuelo de Haviland), hystérie nymphomane d’Annie (Clémentine Célarié), la femme de l’épicier du bourg, folie des hold-up commis par Zorg travesti … Et naturellement et avant tout folie psychiatrique de Betty, folie qu’on voit monter durant tout le film, de son début – l’incendie du bungalow de la plage – à la fin – l’arrachage de l’œil – en passant par dix phases cliniques, la fourchette plantée par Betty dans la main d’une cliente de la pizzeria, ou la balafre qu’elle inflige au critique homosexuel (Philippe Laudenbach) qui a eu le malheur d’écrire du mal du roman de Zorg. Cette folie qui bascule définitivement lorsque Betty apprend qu’elle n’est pas enceinte…
Tout est folie, mais de façon assez mal disposée. Le film est souvent grave et quelquefois très beau (la peinture des bungalows sur la plage, le magasin de pianos au crépuscule et les deux amants qui jouent ensemble le thème musical de Yared, la montée du soir dans le paysage des Causses râpé et brûlé où Zorg dit à Betty l’immensité de son amour).
Mais, au milieu de ces moments, surgissent de manière incongrue des flaques, des éclats de grotesque mal venus : ainsi les rideaux de la chambre mortuaire écroulés par Zorg qui s’endort dans l’encoignure de la fenêtre, ainsi la scène où un ramasseur de poubelles doté d’un crochet lacère follement un matelas abandonné, ainsi l’apparition des considérables mamelles d’Annie (Célarié), ainsi l’attitude ridicule du gendarme (Vincent Lindon) qui se la joue GIGN ; ce même gendarme qui, touché par la paternité supposée de Zorg s’attendrit lors du contrôle routier où le camion en infraction s’éloigne sur l’air du sirupeux Prendre un enfant par la main d’Yves Dutheil…
En même temps, c’est possiblement grâce à ce côté foutraque, qui juxtaposait des scènes burlesques et des scènes tragiques que 37°2 a eu tant de succès. Grâce aussi aux acteurs principaux, Gérard Darmon, à la fois très sympathique et presque inquiétant, Jean-Hugues Anglade, qui porte en lui dès l’abord l’inquiétude et le questionnement (Et puis je me repends d’avoir, dans un précédent message, plaisanté sur sa quéquette flasque ; comment eussè-je voulu qu’elle fût ?). Et Béatrice Dalle, absolument idéalement choisie, qui a dans le regard, à tout moment, la violence et la douceur qu’il faut…