Si intéressé que je suis par le cinéma violent, brutal, desséché souvent, avide d’amertume et même souvent aigre de Michael Haneke, je ne peux pas ne pas voir qu’il réalise souvent davantage des épures que des films. Surtout, sans doute au début de sa carrière, avec une sorte de dureté, de rectitude, de goût du scrupule qu’on pourrait presque dire prussien si on ne savait que le réalisateur, né à Munich a vécu en Autriche et qu’il a beaucoup tourné sous l’orientation de la romancière écorchée vive Elfriede Jelinek qui est tout de même une des plus parfaites incarnations de la haine de soi qu’on puisse imaginer. À partir d’un tel brasier, il n’est pas impossible qu’on puisse réaliser – avec talent, ça va de soi – des films qui sont des brûlots, des films dérangeants et qu’on y réussisse souvent.
Filmer la platitude n’est pas forcément chose facile et parvenir à intéresser les spectateurs aux pérégrinations et aventures d’une grande banalité de quelques individus, quelques familles toutes à peu près insignifiantes de Vienne est une gageure. Des gens sans importance pourrait-on dire ; certains un peu davantage fortunés que d’autres, mais qui ne vivent pas une existence substantiellement différente. Cela à l’exception du gamin Marian Radu (Gabriel Cosmin Urdes), tzigane fuyant la Roumanie qui, on sait mal comment, sera parvenu à passer du bon côté de la barricade et à parvenir à entrer dans ce qu’il imagine être un paradis où coulent le miel et le lait.
Je n’ai évidemment pas compté, mais je pense que les 71 séquences du titre, séparées les unes des autres par une césure en noir sont bien là. Et elles mettent donc en scène des Viennois sans particularités ni aspérités qui vivent une existence banale. On s’attache à eux, quelquefois, en demeurant toutefois un peu frustré de la brièveté des épisodes qui les représentent. C’est le parti-pris de Mickaël Haneke d’entraîner le spectateur vers les uns et vers les autres, de les faire s’entrecroiser, se côtoyer sans jamais se rencontrer.
Jusqu’aux dernières séquences où, précisément, les destins se rejoignent ; ceci sans pour autant que l’habile réalisateur aille verser dans la larmoyance. Car in fine, autant le faire savoir, le jeune Maximilien (Lukas Miko), lisse étudiant en informatique et pongiste sportif de haute qualité, pour des raisons qu’on ne saura guère, sans qu’on comprenne bien pourquoi, tuera, avant de suicider, plusieurs personnes dans une agence bancaire.
Le film ne dit pas expressément qui est mort dans le massacre de ceux que nous avions approchés pendant tout le film ; on peut sans doute les supposer et craindre que ce soient les personnes qui nous avaient le plus attachés : Inge (Anne Bennent), la femme du couple stérile qui a adopté la petite orpheline Annie et recueilli l’exilé Marian, Tomek (Otto Grünmandl), le vieil homme aigri et las, Hans (Branko Samarovski), l’agent de sécurité pieux et si fatigué de ne pas donner à sa femme l’amour qu’elle mérite… D’autres encore.
C’est bien, mais ce n’est pas très bien, parce que ça ressemble trop à un devoir de fin d’études d’un très bon élève qui veut montrer toute l’étendue de sa palette.
On veut bien être content, mais il faut aussi savoir ne pas être dupe.