Mondo cane

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Interdit aux âmes simples, vertueuses et raffinées

Je viens de me procurer le coffret – rare et édité sans publicité aucune – qui comprend Mondo cane 1 et 2 ainsi qu’un disque de suppléments et je suis demeuré pensif, après avoir revu ces deux trésors de mauvais goût, notamment sur l’évolution du permis et de l’interdit depuis 45 ans.

Car si, en termes de sexe ou de cruauté sur les humains on a, depuis lors, atteint des sommets époustouflants, je crois qu’il serait aujourd’hui impossible, tant l’époque se prétend vertueuse en certains domaines, de filmer de très nombreuses séquences dont les souffre-douleur sont les animaux.

La vertu, en effet, revêt aujourd’hui de curieux oripeaux et j’entends beaucoup moins s’indigner les belles âmes sur l’abandon des vieux parents dans les hospices que sur celui des animaux de compagnie en période estivale.

36076_FRAJe précise que je ne suis nullement un ennemi du genre animal, m’étant toujours retenu de faire du mal à ses différentes espèces (sauf aux mouches, moustiques et autres désagréments ambulants), mais je ne suis pas davantage un ami des bêtes, trouvant parfaitement approprié que le Bon Dieu nous les ait donnés pour nous nourrir (le bœuf, le mouton, le cochon) ou pour nous régaler (l’oie et le canard et leur foie hypertrophié).

En 1962, date de sortie de Mondo cane, tout le monde partageait globalement ce point de vue, hormis quelques végétariens anglo-saxons, le souvenir des restrictions de la Guerre étant trop proche pour faire pleurnicher sur le sort d’un veau ou d’un agneau, également mignons, mais qui servaient surtout à nous approvisionner en rôtis, côtes et gigots. On était, aussi, plus proche de la campagne et de la nature, et la grande indifférence de la ruralité à la souffrance animale était largement partagée.

C’est pourquoi les tortues échouées qui crèvent lentement au soleil en Polynésie, les représailles de villageois malais qui ont perdu un membre du fait des requins et se vengent en farcissant la gueule de squales capturés – qu’ils relâchent ensuite – d’oursins énormes et venimeux, la décapitation rituelle au coutelas bien aiguisé de taureaux par les guerriers gurkhas, ou, dans le volume 2, les images complaisantes de flamants ex-roses africains, dégénérés par les rejets d’une usine, ou la dégustation de tortillas mexicaines aux punaises vivantes (sic et beurk !), c’est pourquoi tout cela était dans l’air du temps, et considéré comme bizarre, mais admissible.

mondo-cane-1Les Mondo sont des films complaisants, racoleurs et roublards, empreints d’une grande quantité de mépris pour ceux qu’ils filment : ivrognes de Hambourg, pathétiques, hommes et femmes mêlés, terribles la nuit, pires encore à voir dans le froid bleu du petit matin, invraisemblables gloutons chinois de Singapour, pauvres pitres de la Middle-class débarqués ahuris, rhumatisants, bardés de shorts immenses et de chaussettes noires dans leurs spartiates, qui se ridiculisent aux côtés des danseuses d’Hawaï, sales types qui viennent acheter à des prostituées dégoûtées (mais hygiénistes) de répugnants baisers, enfants du Mexique qui se repaissent de têtes de morts et de cadavres éventrés en massepain…

Pourquoi regarder ce caravansérail d’horreurs diverses, tout à la gloire d’un voyeurisme pharisaïque, alors ? Ma foi ! Je ne nie pas une grande fascination pour le répugnant, déjà exprimée en classant l’absolument dégueulasse Cannibal holocaust au rang de mes films préférés… Mais il y a aussi, dans l’un et l’autre des Mondo (bien davantage dans le premier) des scènes étranges et miraculeuses : cette sorte de cimetière submarin, de Malaisie, où les indigènes disposent artistement sur les coraux, têtes et ossements de leurs morts… Ou le cimetière romain des Capucins où s’entassent squelettes sur squelettes… Ou encore la vigueur d’une casse automobile américaine…

ARQrgEt puis, il y a une volonté point désagréable de tirer sur les idoles d’un moment : Yves Klein, l’inventeur du monochrome bleu (qui n’était pas pour autant tchécoslovaque, comme le dit le film) ou de dénoncer, sans en avoir l’air, quelques scandales un peu ignorés – étouffés, plutôt – comme la persistance du trafic d’enfants esclaves dans les pays du Golfe…

Et enfin – pour le tome 1 – la sublime musique de Riz Ortolani

Mais ne mettez pas le nez dans ces remugles-là si vous vous piquez d’avoir confiance en la bonté intrinsèque de l’Homme…

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