Tu m’as sauvé la vie

Guitry, l’âge du fer

Si je titre cet avis Guitry, l’âge du fer, c’est en référence à ce superbe coffret de l’artiste qui s’appelle Guitry l’âge d’or, qui a repris et mis en valeur les plus grands films d’avant-guerre du magicien, du Roman d’un tricheur à Remontons les Champs-Élysées, et en attente de ce que l’on pourrait appeler L’âge de diamant (comme les noces de même pierre précieuse !) qui vont de La Poison à Assassins et voleurs en passant par les grandes fresques historiques (dont la plus célèbre est naturellement Si Versailles m’était conté).

Après la Guerre et les absurdes avanies que des Résistants de la onzième heure lui ont fait subir à la Libération, il y a eu chez Guitry (comme chez Giono, d’ailleurs, même si les deux hommes n’ont aucun rapport), un vif sentiment d’amertume et même de dégoût envers ceux qui l’ont abandonné et ont fait mine de ne pas le connaître et aussi, de façon plus large, envers l’humanité. Ça culminera avec La Poison, film dévastateur et méchant comme tout, mais ça s’exprimera aussi, sous des formes – et des forces – diverses dans des films moins connus, comme Le trésor de Cantenac, Je l’ai été trois fois ou La vie d’un honnête homme.

tu-m-as-sauve-la-vie_353244_737La misanthropie de Guitry s’exprime toujours de façon aimable, narquoise, sarcastique ; elle ne prétend naturellement pas corriger les injustices et elle ne pose pas l’auteur en preux chevalier donneur de leçons. Elle dit simplement son scepticisme devant les relations humaines et le pessimisme devant l’âge qui vient. Cela dit, il faut bien indiquer que Tu m’as sauvé la vie, où tout le monde – domestiques, voisine soupirante montée en graine, fils adoptif, jolie infirmière – ne songe qu’à l’héritage d’un vieil homme du monde (interprété, naturellement par Guitry lui-même) et où, in fine tout le monde l’abandonne, n’est pas un très bon film. Essentiellement parce que c’est la transposition filmée, sans beaucoup d’effort, d’une pièce de théâtre et que – je l’ai dit cent et cent fois – les effets qui marchent sur la scène, déclenchant une tempête de rires qui se nourrissent de leur propre élan, ne fonctionnent pas toujours à l’écran ; les quelques mouvements de caméra ou les angles un peu hardis qui surgissent ça et là ne suffisent pas à ne pas donner au spectateur l’impression qu’il assiste à une émission de Au théâtre ce soir, un peu banale avec, parcimonieusement, quelques formules et quelques mots qui font mouche.

Itu-m-as-sauve-la-vie_32135_15509l me semble que Tu m’as sauvé la vie est le seul film de Guitry interprété par Fernandel, qui joue donc le rôle d’un chemineau qui, par une suite de hasards est adopté par le riche baron de Saint-Rambert. Ce n’est pas une très bonne idée de distribution, mais Fernandel était, en 1950, au sommet de sa popularité et sans doute incontournable comme on le dit aujourd’hui. D’abord, disons que Fernandel pouvait être fatigant et exaspérant s’il n’était pas contenu par des rails solides (un directeur d’acteurs exigeant, par exemple) et qu’il ne pouvait pas interpréter les mots de tout le monde : ce qui a marché avec Pagnol, ainsi, ne marche pas, ou pas très bien, avec Guitry : ça se sent. D’ailleurs, immédiatement après Tu m’as sauvé la vie se place l’épisode filmique d’Adhémar. Guitry, malade, avait écrit un scénario qui évoquait vaguement Ils étaient neuf célibataires : un hospice recueillant charitablement des gens hideux, souhaitant se retirer du monde (encore la misanthropie post-Libération). C’est Fernandel qui mit en scène le film, qui est une véritable catastrophe. S’estimant trahi, l’auteur intenta au réalisateur un procès, qu’il perdit. D’où une naturelle brouille entre les deux hommes qui n’étaient pas fait pour travailler ensemble, malgré, sans doute, une mutuelle admiration.

Tu m’as sauvé la vie est languissant, sans éclat, sans intérêt réel ; les acteurs jouent terriblement théâtre, même Jeanne Fusier-Gir, d’ordinaire si fine ; Lana Marconi, cinquième et dernière épouse du Maître est ennuyeuse et à peine jolie ; René Génin et Georges Bever parviennent à être insignifiants.

Amis de Guitry, détournez respectueusement le regard et fermez la porte : il n’est pas nécessaire d’avoir vu ça.

 

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