Le début des Trente glorieuses
Douce euphorie des histoires heureuses ! »Histoire heureuse« , et j’y tiens, parce que cette saga familiale ((saga, puisqu’il faut ajouter à Papa, maman, la bonne et moi – 1954 – sa directe suite, Papa, maman, ma femme et moi – 1956 – ), que nous pouvons considérer avec le même regard bienveillant est délicieuse, mais il faut l’examiner dans son environnement sociologique (c’est-à-dire sur son véritable et exclusif intérêt archéologique, aujourd’hui).
Tout le ressort du film est dans la formidable expansion économique qui accompagne alors la France depuis dix ans et qui fait précisément nourrir des envies et des espérances qui étaient inimaginables à la veille de la Guerre : ce qui est en premier lieu la cause de la crise du logement – sur quoi s’appuient les deux films – c’est, naturellement en premier lieu le baby-boom, mais aussi le désir de la génération montante d’accéder au confort (appartements plus spacieux, plus hygiéniques, plus clairs) et de décohabiter avec la génération précédente. La promiscuité que l’on peut noter, c’est encore – mais de moins en moins – la norme dans la petite bourgeoisie, et ça le restera encore au moins deux décennies à la campagne (voir Farrebique !)
Ce qu’on appellera plus tard le quart monde (mais ce n’est pas tout à fait cela : le vrai quart monde, c’est celui des Chiffonniers d’Emmaüs, et c’est tout de même autre chose !) commence lui aussi à connaître les bienfaits de l’expansion et de la prospérité. Mais surtout c’est à partir de ce moment-là que la traditionnelle répartition verticale des classes sociales va céder la place à une répartition horizontale, et que les petites gens qui vivent sous les toits vont quitter Paris pour aller découvrir les cités de banlieue, ce qui apparaîtra d’ailleurs à tous comme un immense progrès. Depuis toujours, en effet, l’immeuble parisien s’est organisé en hauteur, l’étage noble (celui où il y a le moins d’escaliers à gravir !) étant le premier, et une subtile gradation plaçant les familles en rang inverse de leur situation sociale (Pot-Bouille est une démonstration parfaite de ce clivage).
Voyons aussi les « tirelires thématiques » : nous les avons tous connues, qui étions enfants à cette époque ! Il n’y a ni carte bleue, ni moyens de paiement informatisés ! On n’emploie le chèque que pour régler de grosses dépenses et beaucoup de personnes sont encore payées en numéraire ! (Je crois que l’obligation du compte bancaire, pour un salarié ne doit dater que de 1970). Langlois père (Fernand Ledoux), professeur dans une institution privée qui n’est évidemment pas sous contrat, puisque la loi Debré est de 1959, doit recevoir son traitement ainsi ! Et d’ailleurs, hors le livret de caisse d’épargne, il n’y a pas de produits financiers sophistiqués : on conserve ses sous à la maison !
C’est une société qui n’est pas d’abondance, mais de parcimonie, où, à l’exception des couches financièrement très aisées, on économise sur tout, on use les vieilles vestes à la maison, et où on éteint les lampes quand on sort d’une pièce !
Et ça n’empêche pas du tout d’avoir une bonne à la maison, ce qui n’est pas du tout invraisemblable !! Moi-même issu de cette bourgeoisie pauvre, et ayant fréquenté ce milieu-là, j’y ai toujours vu des bonnes – car il était hors de question qu’une femme travaillât – une bonne généralement recrutée à la campagne, peu exigeante et travailleuse, qui couchait dans – précisément ! – une chambre de bonne et s’en contentait. Cela étant, il était hors de question de partir en vacances et acheter une automobile était un rêve un peu fou.
Je tiens les deux films de Jean-Paul Le Chanois comme un des témoignages les plus exacts, les plus véridiques sur la France du début des années Cinquante ; d’ailleurs, une fois les questions de logement réglées, que se passe-t-il dans le second volet de l’histoire, Papa, maman, ma femme et moi ? On se met à la recherche d’une maison de campagne ! Le niveau de vie a augmenté, les aspirations changent, on veut davantage. En tout cas, autre chose !