La compagnie des poncifs.
On n’est pas si cohérent qu’on croit l’être. Il y a quelques années, j’avais jugé, avec beaucoup d’autres, que L’héritier était un film très honorable ; et après l’avoir revu l’autre soir, j’ai été effaré par ce tape-à-l’œil très années 70 et ses vertueuses indignations où un pur chevalier, dès l’abord menacé par séides et sicaires du grand patronat, avec la complicité passive du Vatican, s’efforce de démonter une vaste conspiration.
Je suis bien loin de n’être pas conscient que les extraordinaires années de prospérité que la France et le monde occidental connaissaient à cette époque aient été exemptes de scandales, magouilles, traficotages, abus de toute sorte, complaisances des pouvoirs, tricheries, mensonges d’État et tout le bataclan.
L’énormité des fonds maniés par les compagnies multinationales industrielles suscitait forcément des tentations tout comme aujourd’hui la rapidité des spéculations et des échanges globalisés permet le déploiement de l‘horreur économique. Cela a donné plein de films ardemment dénonciateurs (Le Sucre de Jacques Rouffio en 1978, Une étrange affaire de Pierre Granier-Deferre en 1981, Mille milliards de dollars d’Henri Verneuil en 1982 et j’en oublie sûrement). Au moment où le capitalisme financier se substituait au capitalisme industriel et ajoutait une touche supplémentaire d’inhumanité à l’aventure, les grosses sociétés de production et les réalisateurs chéris du public faisaient mine de dénoncer l’affaire.
Comme on ne prête qu’aux riches, les méchants du film de Philippe Labro, romancier qui ne manque pas de talent, mais moins intéressant cinéaste, se trouvaient être un potentat italien chef d’un parti néo-fasciste (une sorte de figure monstrueuse mixant Giovanni Agnelli et Silvio Berlusconi) et un Vatican prétendument jadis compromis lors des déportations des Juifs italiens. (Il importait peu que les historiens aient fait litière des accusations montées par Rolf Hochhuth dans Le Vicaire et invraisemblablement reprises par Costa Gavras dans Amen, en 2002 pourtant !).
Toujours est-il que L’Héritier accumule les poncifs bien-pensants (le jeune lieutenant Cordell/Jean-Paul Belmondo qui, indigné par la torture, va souffleter son colonel), les dialogues bas de gamme et ce qu’on pourrait appeler les fausses pistes (quelqu’un pourrait-il m’expliquer l’intérêt du rôle muet du détective privé Brayen/Maurice Garrel ? celui de l’avocat Théron-Maillard/François Chaumette ?). Et cette séquence ridicule où, dans l’usine métallurgique, Cordell/Belmondo et Loewenstein/Denner sont les seuls à ne pas porter un casque de protection comme s’ils étaient de jeunes dieux invulnérables (et à la réflexion, je crains que ce ne soit ça que Philippe Labro a voulu dire !).
Qu’est-ce qui reste à celui qui, comme moi, n’apprécie pas tellement le charme hommasse de Carla Gravina ? Charles Denner, qu’on a presque toujours trouvé parfait, Maureen Kerwin, qui était bien belle et un Jean-Paul Belmondo encore très présentable. Présentable, mais qui avait délaissé depuis déjà quelques années déjà le cinéma grave au profit de ses rôles délicieux de Monsieur Boum-Boum dans lesquels il n’a fait que se confiner de plus en plus.