Graveleuses pantalonnades
Voilà un petit film sans prétention aucune qui devait faire les beaux soirs du Maxéville ou du Barbizon, de ces salles de quartier où des comédies bon enfant se déroulaient à la pelle, aux temps où le populo avait déjà déserté le théâtre et le music-hall, et où la télévision n’avait pas encore étendu son grand rideau sommeillant sur l’après-dîner des braves gens.
Quand j’écris qu’on n’allait déjà plus au théâtre, ça ne signifie pas qu’on avait écarté les bonnes vieilles recettes du vaudeville et de la légèreté gauloise : s’il y a bien un film qui joue sur les ficelles du cocuage, des méprises, des quiproquos et des allusions salaces, c’est bien cet Au diable la vertu filmé sans façon par l’inconnu Jean Laviron.
L’intrigue est habile, amusante, voire ingénieuse : pour justifier son découchage et amadouer sa femme, le banquier Pierre Montabrel (Henri Genès) fait appel à une officine trouble de recherches et de pourvoiement d’alibis en tous genres dirigé par Tellier (Julien Carette aussi excellent que toujours) ; celui-ci, moyennant finances, l’acoquine avec un certain Trémieux (Christian Duvaleix) ; les deux hommes se procureront ainsi mutuellement un parfait alibi (quelqu’un me fait remarquer que c’est à peu de choses prés, la situation de L’Inconnu du Nord-Express du regretté Alfred Hitchcock ; certes ; mais n’exagérons pas).
Le malheur, pour le brave Montabrel, c’est que Trémieux est un monte-en-l’air, une arsouille sympathique qui, la nuit du découché, a cambriolé et violé une vieille fille, demeurée néanmoins bien séduisante, Véronique de Saint-Hilaire (Simone Paris, actrice de second rang, mais toujours parfaite dans les rôles ambigus – voir L’air de Paris de Carné).
Naturellement, tout ce mic-mac donne lieu à des coups de théâtre, des malentendus, des méprises, des retournements de situation (presque) sans fin, de cette étrange horlogerie qui fait tout le charme d’une pièce de boulevard bien réussie, même si, en l’espèce, le scénario a directement été écrit pour le cinéma. (Je n’arrive d’ailleurs que malaisément à croire que l’auteur, Jean Guitton, est le grand philosophe catholique, dont la thèse de doctorat portait sur Le temps et l’éternité chez Plotin et saint Augustin ; selon qu’on consulte Imdb et Wikipédia, si les dates et lieux de naissance sont identiques, une source ne cite que les œuvres profanes (ô combien !), l’autre les ouvrages sérieux ; homonymie et confusion ? Quelqu’un a-t-il des lumières sur ce point ?)
C’est donc assez amusant, quelquefois enlevé, parfois un peu lourdingue (Genès en fait toujours des tonnes), et avec quelques croquis bien venus, notamment celui du Juge d’instruction, l’excellent Vattier (M. Brun de la trilogie de Pagnol et, la même année 1953, le sublime Belloiseau de Manon des sources) ; à ses côtés Louis de Funès, greffier étourdi autant qu’obséquieux, est plutôt sage.
Bref, de la gentille ouvrage pour qui n’est pas trop regardant sur la vraisemblance… Exactement ce qu’il fallait pour aller ensuite retrouver sans trop maugréer son trois pièces où l’on couchait à cinq où il y avait à peine l’eau courante et le gaz, et sûrement pas les commodités…