De la difficulté d’écrire…
Voilà ; je viens en deux ou trois semaines de m’emplir de cette série mythique, absorbant, en une sorte de fascination hypnotique, le Pilote et les 29 épisodes de la série télévisée, répartis en trois lourds coffrets de quatre disques. Avant d’avoir regardé Twin Peaks: Fire Walk with Me qui est, si j’ai bien compris ce qu’on appelle le prequel, je crois pouvoir jeter ici quelques impressions liminaires et initiales, puisque, à part quelques séquences chipées au hasard, jadis, sur la défunte Cinq (je crois), je n’avais jamais vu ce long feuilleton.
J’ai écrit fascination hypnotique, et il est bien certain que l’œuvre de Lynch laisse bien peu de place à l’indifférence ou à l’ennui. De Lynch, évidemment, car, si bon nombre d’épisodes ont été tournés par d’autres réalisateurs, on sent ici et là sa patte et son regard, et je gage qu’il n’a pas dû laisser les coudées trop franches à ceux qu’il a chargés de filmer SES personnages et SES histoires.
Fascination hypnotique, donc, et pourtant, ici et là quelques réticences ou observations, qui ne remettent évidemment pas en question l’intense admiration ressentie.
J’ai longuement hésité avant de déposer ma note et ne suis pas certain que j’ai eu raison de le faire. D’abord parce que le genre même du feuilleton ne se prête qu’imparfaitement à cet exercice, du fait de sa longueur inaccoutumée, des inévitables modulations de qualité entre les épisodes, et aussi des codes immémoriaux du genre, qui exigent, par exemple, que chaque chapitre se termine sur une tension ou une interrogation. Lorsque, de surcroît, l’intrigue atteint un réel niveau de complexité et fait fi de la linéarité que l’on trouve dans les œuvres très traditionnelles (à dessein, et comme contre-exemple parfait, je cite L’Homme du « Picardie », délicieusement franchouillard), lorsque donc on est plongé dans un monde aussi irréel, on est quelquefois un peu décontenancé, voire réticent.
De plus – et ceci est davantage intrinsèque à la série elle-même – il me semble que les derniers épisodes (en gros le troisième coffret) tirent à la ligne et se perdent dans des marécages un peu chichiteux. Et de fait, le dernier épisode – le n°29 -, réalisé par David Lynch lui-même, donne l’impression de compresser, de façon presque cocasse (même si ce qu’il narre est horrifiant), tous les fils de l’intrigue. Je ne suis pas loin de penser que cela tient aussi à l’effacement ou à la disparition de certains protagonistes pittoresques (le Docteur Jacoby – Richard Beymer, – Jerry Horne – David Patrick Kelly) ou importants (Leland Palmer, le père de Laura – Ray Wise -, James Hurley – James Marshall – ou Blakie, la tenancière du Jack n’a qu’un œil – Victoria Catlin).
Et puis je dois dire que je me serais bien passé de la récurrence assez pesante des rapports niais entre l’Adjoint Andy Brennan (Harry Goaz) et l’insupportable secrétaire du Shérif, Lucy Moran (Kimmy Robertson).
Et c’est à peu près tout, comme gouttes de vinaigre.
Je m’étendrai moins sur le miel, parce que sa suavité est largement partagée et que les exercices d’admiration buttent toujours devant la difficulté d’exprimer sa ferveur, ou son enthousiasme… Je m’étendrai moins, mais… qu’est-ce que c’est bien ! L’obsédante et superbe musique d’Angelo Badalamenti, la sophistication passionnante de l’intrigue, la détermination de la plupart des caractères, la beauté formelle des images, la capacité à nous faire entrer dans le monde de Twin Peaks, cité improbable et totalement artificielle (où sont les 51.000 habitants ?) et pourtant désormais si évidente, le jeu d’acteurs extraordinairement bien dirigés…
Kyle MacLachlan, l’Agent spécial Dale Cooper donne toute la mesure de son grand talent, mais Richard Beymer, en Benjamin Horne, que je croyais disparu depuis West side story (et c’est amusant qu’il retrouve, trente ans après, Russ Tamblyn !) n’est pas mal du tout… Et que de jolies femmes talentueuses, en premier lieu Sherilyn Fenn, ravissante Audrey Horne, mais aussi Peggy Lipton, excellente Norma Jennings…
Enfin voilà ; j’ai vidé mon premier fourre-tout… mais je ne doute pas que, dans plusieurs semaines encore, l’image des concitoyens de Laura Palmer viendra nourrir mes rêves. Ou mes cauchemars…