Le grand silence

Solitude

D’abord, est-ce un film ? Oui, sans doute, et sûrement, tant l’image y est belle, tant le montage, sans doute volontairement non chronologique, sans cohérence immédiate d’apparence y est important, tant la capacité de fascination peut y être forte.

Est-ce un film documentaire ? Ah là, assurément non, puisque ce long périple de près de trois heures dans l’intimité des moines de la Grande Chartreuse n’apprend rien au spectateur, ni sur l’origine de l’Ordre, ni sur sa règle, une des plus austères qui se puissent, ni sur les raisons qui ont pu pousser ces hommes de tous âges et – manifestement – de toute condition sociale et intellectuelle à venir s’ensevelir dans le silence et la solitude du monastère. Non, ça ne  »documente » pas : ça donne à voir.

Wx9EDaGrZODaoOYn9otif2hUz9Lent, très lent souffle du film, qui fascine d’emblée : longs plans d’un jeune moine abîmé en prière, dans la nudité de sa cellule ; ciel bleu vif des cimes des Alpes ; âtre brasillant dans la nuit ; flocons de neige : on ne va pas facilement se détacher. Immense silence ponctué seulement par les appels de la cloche qui convie aux rituels, par les bruits de la vie et par les pas des moines, par la psalmodie et le chant grégorien : rien d’autre, ou très peu : quelques échanges, quelques brèves conversations, quelques rires lors de la seule récréation hebdomadaire du dimanche après-midi. Ensevelissement dans la prière ininterrompue ainsi que le dit le Père supérieur lors de la prise d’habit de deux novices.

Gestes simples de la vie en communauté pratiqués dans la solitude : un vieux Père tailleur coupe la robe de drap blanc des nouveaux arrivants ; un Père jardinier, à l’orée du printemps, dégage de la neige encore très haute, des carrés de légumes ; un Père cuisinier épluche et coupe des céleris, prépare la pitance des moines à qui la nourriture est donnée, dans leur cellule, par un passe-plat.

Sans scansion régulière, sans césure convenue, des textes bibliques, des portraits silencieux de moines interviennent et ponctuent le déroulement des images ; ni jugement, ni dialogue, niexplication (à la seule exception des propos d’un vieux Père aveugle bénissant Dieu de son infirmité, qui lui permet d’être plus attentif à la présence divine).

image051J’ai bien conscience qu’ainsi maladroitement décrit, ou rapporté, plutôt, Le grand silence peut apparaître mortel d’ennui et rébarbatif ; sans doute le travail ébouriffant de Philip Gröning qui demanda en 1984 aux Chartreux l’autorisation de les filmer, et ne fut rappelé par eux qu’en 1999 (!) ne peut être que déconseillé à tous ceux que la transcendance indiffère ou qui n’éprouvent pas de curiosité envers le retrait du monde d’hommes que personne ne contraint à cette vie, qui est d’une dureté et d’une apparente inutilité sans égales.

Les Chartreux n’ont, au contraire de la plupart des ordres monastiques, aucune autre activité que la prière – leur subsistance mise à part – : aucune activité pastorale, doctrinale ou sociale ; dans la lenteur hors du monde de leur vie, ils ne se préoccupent que de franchir la barrière du silence de Dieu…

Et c’est bien cela que le film de Gröning représente avec obstination et talent : dire l’indicible, représenter l’imprésentable : dans la lumière rare des offices de nuit, dans le seul plan d’une étincelle au milieu des ténèbres, il y a, sinon la réponse, du moins la question.

Comment donner une note ? Je ne m’en mêlerai pas ; le DVD est remarquablement bien fait, un second disque de suppléments donnant des éclairages très clairs et très pédagogiques à ceux qui veulent aller (un peu) plus loin.

17 décembre 2008

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