Bucolique et opiacé.
Voilà un film qui n’a, en lui-même, strictement aucun intérêt et qui est gravement plombé par l’affreuse médiocrité d’une grande partie de sa distribution : Jean Lefebvre, Paul Préboist, Michel Galabru, Philippe Castelli, Nathalie Courval c’est tout de même ce qui s’est fait de pire dans les derniers temps du siècle passé, ou peu s’en faut (je ne parle pas de talent intrinsèque, mais des emplois dont on les affublait). Voilà pourtant un film qui a la qualité d’avoir dépeint certains aspects d’une époque, en maniant une caricature assez outrancière, mais adossée à des traits réels et dont plusieurs acteurs sont excellents : Miou-Miou, Renée Saint-Cyr, André Pousse, Henri Guybet, Robert Dalban (au fait, même observation que ci-dessus sur le talent de ces interprètes)…
Et puis c’est un film de Georges Lautner, à la singulière carrière engagée dans le dynamitage des conformismes d’abord (la série des Monocle, Les tontons flingueurs, Les barbouzes mais aussi Galia), poursuivie sur un ton burlesque mais beaucoup moins original et finalement assez consensuel (Ne nous fâchons pas, Fleur d’oseille, Pas de problème, On aura tout vu), puis par la mise en valeur exclusive de M. Boum-Boum Belmondo (Flic ou voyou, Le guignolo, Le professionnel) et médiocrement achevée par des ratages qu’il n’est pas utile d’évoquer.
Quelques messieurs trop tranquilles appartient à la deuxième époque, nourrie de grands succès publics, mais finalement assez banale : c’est la France tranquille, peinarde, pantouflarde et provinciale qui se moque trop gentiment d’elle-même, en feignant de n’être pas dupe de ses ridicules. C’est la période qui entoure temporellement l’incroyable explosion de Mai 68, qui met au premier rang l’envie de l’indépendance et la liberté sexuelle. Les films tournés à ce moment là sont touchés par le jeunisme, maladie douce qui consiste à exprimer clairement que le seul intérêt de la vie est d’être jeune. Voilà un état qui ne dure pas si longtemps que ça, mais à quoi certains se cramponnent de manière souvent pathétique.
Donc les ploucs de Loubressac, rassis et routiniers, confits dans le pastis et l’aisselle qu’on devine odoriférante, voient débarquer un jour, dans leur village du gracieux département du Lot, une cohorte de jeunes gens tous plus beaux, plus doux et plus sereins les uns que les autres. Les garçons portent d’étranges tenues, les filles sont souvent toutes nues et le petit monde fume des substances étranges et apaisantes. À part pour quelques spécimens grincheux (Peloux/Galabru, l’instituteur allergique aux enfants), l’irritation villageoise du début fait vite place à une stupéfaction plutôt fascinée. D’autant que la châtelaine du lieu (Renée Saint-Cyr), aristo plutôt dans la dèche, n’a pas d’antipathie pour les nouveaux venus.
Le scénario, une fois ces prémisses posées, est d’une minceur exemplaire ; des malfrats, conduits par Gérard Lorain (André Pousse), enfant du pays qui a mal tourné, se feront chasser par la coalition des campagnards et des routards. À ce moment là, il y a déjà un moment qu’on a décroché.
Qu’est-ce qu’on garde de ce salmigondis ? Les paysages magnifiques, quelques trouvailles de langage (qui doivent provenir du roman d’A.D.G. dont est adapté le film) et l’étrange souvenir d’avoir soi-même connu quelques exemplaires de ces hippies qui partaient pour Katmandou ou pour le Larzac, créant, ça et là des communautés qui ont rarement résisté à l’épreuve du temps. D’ailleurs, si l’on veut voir la suite et la fin des rêveries, mieux vaut regarder Les babas cool de François Leterrier, bien plus grinçants et bien plus narquois que ces Messieurs trop tranquilles.