Pincemi et Pincemoi sont dans un bateau…
Ah sûrement j’ai l’air malin, aujourd’hui, de m’être violemment cabré devant les deux premiers films de Pialat que j’ai vraiment regardés, il n’y a pas si longtemps que ça, d’ailleurs (À nos amours puis Loulou) et de m’être pourtant laissé attirer par cette étoile noire du cinéma qui, comme toutes les étoiles noires, fascine et entraîne. Au point que je suis maintenant parti pour découvrir toute l’œuvre du bonhomme. J’ai l’air malin.
Il est vrai que, même en regimbant fort, déjà je ne pouvais pas, fût-ce avec la pire mauvaise foi dont je peux disposer, prétendre que ce cinéma là était de la gnognote insignifiante ou de la prétention grinçante. Même si on ne veut pas tout de suite l’admettre, il y a dans Pialat quelque chose qui touche et qui remue. Comme dans un roman de Georges Bernanos (dont il a si magnifiquement adapté Sous le soleil de Satan), on a beau se débattre, il y a un moment où on est saisi de l’évidence de la Grâce.
Parler de grâce à propos de Nous ne vieillirons pas ensemble, j’en conviens, c’est un peu gonflé. Voilà un couple médiocre et exaspérant lui-même entouré d’êtres médiocres et de grande banalité ; et je n’exclus pas même de ce dénombrement Françoise (Macha Méril), l’épouse délaissée de Jean (Jean Yanne), toujours présente, toujours dolente et dont la perfection bienveillante finit par agacer. Et pourtant, oui, il y a de la grâce dans ce film brutal. Est-ce parce qu’il est étroitement autobiographique que c’est si fin, si triste, si tendre et si violent et surtout si miraculeusement juste ? Les spectateurs du film, paraît-il, étaient tous stupéfaits de trouver dans cette histoire si simplement filmée la complexité de leurs propres histoires : on n’avait jamais montré au cinéma le délitement d’une passion, passion brutale et épuisée dont les amants boivent l’amertume jusqu’à la lie. On ne s’exprime pas, on ne bâtit rien – plutôt on n’a rien bâti – et on se retrouve dans le décalage amoureux qui conduit les hommes à s’accrocher toujours et les femmes à vraiment rompre. La relation des deux sexes n’est pas fabriquée de manière identique : de l’ordre du caoutchouc – ou du chewing-gum, si l’on préfère – d’un côté, de l’ordre de l’acier – ou de la porcelaine, si l’on veut – de l’autre (Maintenant que je m’aperçois que je t’aime, tu t’en vas !).
Comme on l’a dit, c’est étouffant et souvent désagréable tant on se sent comme propulsé dans une histoire lamentable qu’on est presque gêné de se trouver là, comme lorsque dans la rue, au restaurant, dans un train, n’importe où, on se trouve témoin d’une dispute dont on ne perçoit que les éclats et sûrement pas ce qui les a causés. Et pourtant on suit sans lassitude aucune ces incessants allers-retours, ces ni avec toi, ni sans toi qui s’éparpillent au fur et à mesure que le fossé devient gouffre.
Je ne sais si c’est Pialat qui par ses exigences a rendu les acteurs si bluffants. On n’est pas étonné pour Jean Yanne, qu’on n’a jamais vu mauvais ni même médiocre ; mais Marlène Jobert que je croyais confinée dans les rôles de charmante superficielle à peau dorée et craquante va bien au delà de cette image (et montre, dans l’entretien qu’elle donne en supplément du DVD, qu’elle est femme intelligente et sensible). Et les seconds rôles sont aussi d’une grande justesse : de Christine Fabréga, il est vrai déjà excellente dans Le deuxième souffle à Maurice Risch, souvent confiné à des silhouettes crasseuses ou à Muse Dalbray et Harry-Max. Photographie magnifique ; un peu trop de son direct, à mon goût (et à ma vieille oreille). Et rythme, rythme, rythme : ce dont on a le plus besoin au cinéma.