Quatorze heures de la vie d’une femme.
Il y a plein de bonnes choses dans le film de Jérôme Bonnell, en premier lieu la qualité de l’interprétation d’Emmanuelle Devos, grande actrice qui n’est pas vraiment jolie mais qui arrive souvent, grâce à un sourire, une attitude, un geste, guère grand chose, à se rendre bien séduisante. Elle irrigue le film de son allure et parvient à rendre presque vraisemblable une histoire qui ne l’est guère, mais par quoi on se laisse facilement entraîner… Et ceci dans les rues d’un Paris toujours magnifique, toujours superbe… Mon Dieu, mon Dieu, quel bonheur de vivre ici !!!
Alix (Emmanuelle Devos donc) a 43 ans ; actrice sans grand talent d’une de ces multiples troupes de théâtre qui sillonnent la France grâce aux subventions publiques et à la prétention petite-bourgeoise de s’intéresser à ce qui, fondamentalement, enquiquine, Ibsen, Brecht ou Tchékhov. Alix tire le diable par la queue, dispose d’un amant/compagnon tout comme elle intermittent du spectacle, affronte sans essayer de voir plus loin une vie au jour le jour, parcimonieuse, mais un peu moins terne que celle qu’elle devrait avoir si elle était institutrice ou secrétaire médicale. Revoir là-dessus Le goût des autres : paraître sur scène et recevoir une part d’applaudissements suffit souvent à griser.
Alors qu’elle joue de l’Ibsen dans une salle de Calais, pour je ne sais plus quelle raison (retrouver son compagnon, déjeuner avec sa mère ou quelque chose d’autre), elle vient passer une journée à Paris. Dans le train, elle croise le regard d’un inconnu (Gabriel Byrne) et elle en est fascinée. À l’arrivée du train Gare du Nord, l’inconnu lui demande le chemin de la basilique Sainte Clotilde.
Jusque là, le film est d’une parfaite justesse, plein d’observations fines sur l’existence d’une femme encore jeune mais déjà engloutie dans une vie un peu poussiéreuse. Mais Jérôme Bonnell ne peut évidemment pas laisser en plan, au bout d’une demi-heure, ses personnages et, avec un certain équilibrisme, il les remet en présence.
Arrive évidemment ce qui doit arriver, l’acte répétitif du lit et des draps, filmé sans trop de complaisance mais de façon un peu trop arithmétique à mon sens. Je peux tout à fait comprendre que, sur une pulsion instinctive, un homme et une femme aient envie de s’envoyer en l’air et même qu’ils le fassent réellement. Je suis moins convaincu par l’attitude de l’inconnu qui, si on le poussait un peu, remettrait en cause tout le calme de sa vie sur une simple brève rencontre, aussi agréable qu’elle a pu l’être. La faiblesse du Temps de l’aventure est là. Bien plus délicate et exacte est l’attitude d’Alix qui, aux dernières images, invite son compagnon à la rejoindre à Calais où elle lui apprendra qu’elle est enfin enceinte de sept semaines, de façon miraculeuse et inespérée : les choses reprennent leur vraie place.
Au milieu de cette histoire un peu trop funambulesque, il y a de la place pour d’étonnants moments de qualité, ainsi le verbiage doctoral de Rodolphe (Gilles Privat), ami de l’Inconnu, qui ne comprend pas grand chose à ce qui se passe, ou la rencontre d’Alix et de sa sœur Diane (Aurélia Petit), friquée et haineuse, ainsi la brève séquence irrésistible où Alix s’étant cognée le visage par mégarde sur un lampadaire se voit conseiller par une femme médecin qui passe de se coller la figure sur la froideur de ce lampadaire pour éviter l’œdème, obtempère et se voit interpellée par un passant d’un Beau couple ! narquois…
Bonnell ne sait pas trop résister au romanesque de son histoire et donne à voir une fin trop ouverte (sur laquelle il s’est posé des questions, indique-t-il sur le supplément du DVD) mais filme avec beaucoup de maîtrise soyeuse une histoire qui ne lasse pas le spectateur ; c’est assez rare pour être signalé.