La Truite

Gobe-mouches

Je n’ai absolument aucune prévention contre le cinéma de Joseph Losey ; j’ai eu assez d’intérêt pour The servant, je me souviens d’avoir jadis regardé sans désagrément Le garçon aux cheveux verts, Eva ou Monsieur Klein et j’aimerais bien retrouver la beauté de Monica Vitti, singulière Modesty Blaise. Par ailleurs, j’ai beaucoup d’admiration pour la personnalité et surtout l’œuvre romanesque du dandy communiste (un peu) et drogué (beaucoup) Roger Vailland. François Leterrier a réalisé une adaptation parfaite des Mauvais coups, Jules Dassin une bonne adaptation de La Loi, Jean Prat une adaptation télévisée de 325.000 francs. Et il y a même eu une adaptation de Drôle de jeu par Jean-Daniel Pollet et Pierre Kast (mais que je n’ai pas vue).

On ne lit plus du tout Roger Vailland et on ne parle plus guère de Joseph Losey. Dommage. La Truite est le dernier roman du premier, l’avant-dernier film du second. Excellente raison pour s’y plonger, d’autant que l’interprète principale est Isabelle Huppert qu’il faut être d’une sacrée mauvaise fois pour ne pas apprécier. Et qu’il y a aussi, à la distribution, Jean-Pierre Cassel, Jeanne Moreau, Jacques Spiesser et, pour ceux qui apprécient les belles plantes exotiques, Lisette Malidor.

Et malgré toutes ces bonnes raisons, c’est très très mauvais. De la bouillie pour les chats, un film sans maîtrise et sans qualité, à la fois agité et ennuyeux, où les péripéties se succèdent sans liant, sans souplesse, sans cohérence, où les acteurs, réellement de qualité, s’agitent en dévidant des dialogues confus, terriblement laborieux.

La truite, c’est Frédérique (Isabelle Huppert, donc), fille d’un pisciculteur jurassien vicelard et demi incestueux, qui s’est bien juré de faire tourner la tête des hommes sans jamais rien leur concéder. Lorsque le film commence, elle est mariée, on ne sait trop comment, à Galuchat (Jacques Spiesser), doux, fuyant homosexuel craintif. Elle rencontre deux couples prospères, plutôt libres de manières et de comportements. Les deux hommes s’acharnent successivement à coucher avec elle… On devine évidemment que ça ne va pas bien se passer.

La trame du roman est intelligente, fluide et glaçante. Le film est un capharnaüm où surgissent sans absolue nécessité des flashbacks explicatifs lourds comme des maisons. Les séquences s’enchaînent pesamment.

C’est artificiel, prétentieux, fatigant, jamais pervers, comme il aurait fallu que cela soit, souvent ridicule (la scène où Frédérique jette à la rivière des truites naturalisées en vengeance contre Verjon (Jean-Paul Roussillon), ami de son père et vieux libidineux), toujours artificiel.

On assiste, peiné, à un naufrage. Ce qui, traitant, même métaphoriquement, d’un poisson, est absurde. On ne vous le fait pas dire.

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