J’ai beau écarquiller les yeux…
Jubilatoire ! dit l’un (Grazia) ; La comédie de l’année assène un autre (Le Figaro) ; Rires en cascade profère un troisième (Télérama) ; Fait rire et très fort proclame un quatrième (Le Monde). Comment résister à ça, d’autant que l’ami qui m’a prêté le DVD, aussi cinéphage que moi et bien davantage cinéphile, avait ajouté à ces dithyrambes qu’il n’avait pas ri autant depuis des lustres. Donc, même si j’avais naguère été accablé par Les apprentis du même réalisateur, Pierre Salvadori, je me préparais à passer un bon moment festif, ce qui correspond parfaitement bien à la période qui relie Noël au Jour de l’An.
Une demi-heure avant la fin de En liberté !, ma femme est partie se coucher. J’ai tenu jusqu’au bout, mais, ce matin, lorsqu’elle m’a demandé de lui raconter la fin du film, j’en ai été bien incapable et j’ai dû me reporter à la notice de Wikipédia pour lui donner satisfaction. (Enfin… satisfaction… si j’ose dire).
Qu’est-ce que c’est que ce binz ? Comment qualifier une telle unanimité de la critique ? J’ai l’impression trouble que les journalistes se tiennent souvent par la barbichette avec certains réalisateurs et communient dans un entre-soi mutuellement valorisant. Le film d’auteur – ou prétendu tel – bénéficie de toutes les grâces et de toutes les faveurs du CNC et des professionnels de la profession, cela fait assez longtemps qu’on le sait. Et puis la vedette féminine du film, Adèle Haenel est une véritable icône du Camp du Bien qui manifeste et s’engage pour toutes les bonnes causes à la mode, les migrants, Nuit debout, Notre-Dame des Landes, le féminisme, l’écologie, tout le tremblement ; et puis 15 ans après les faits relatés elle s’est dit victime d’attouchements de la part d’un réalisateur, Christophe Ruggia, qui lui a donné son premier rôle. Voilà qui donne un incontestable statut social et sociétal.
Mais la réaction de mon ami, plus avisé et nullement structurellement soumis aux ukases me déconcerte et m’interloque. Qu’est-ce qu’il a bien pu trouver de drôle là-dedans ?
Yvonne (Adèle Haenel, donc), lieutenant de police, vit dans le culte de son mari Jean Santi (Vincent Elbaz), mort en service deux ans auparavant, culte qu’elle fait partager à son petit garçon en enluminant la légende à chaque récit de ses exploits. Mais elle découvre fortuitement que le héros était en fait un salopard pourri jusqu’à l’os qui a notamment fait emprisonner à sa place un innocent, Antoine (Pio Marmaï) qui finit de purger une longue peine. Culpabilisée, Yvonne va s’attacher aux pas d’Antoine, dont l’équilibre mental n’a pas bien résisté aux années d’incarcération.
Avec une pareille trame, on peut tout concevoir, du drame à la comédie. Et en fait on n’a rien. Rien de rien, nib de nib. Ou alors c’est un vagabondage sans queue ni tête, totalement invertébré, où les protagonistes paraissent se perdre en se prenant les pieds dans un tapis trop grand. Ceux que j’ai cités mais aussi la femme d’Antoine, le faux coupable (Audrey Tautou) et Louis (Damien Bonnard), policier amoureux d’Yvonne qui finira par la conquérir. On passe des images fantasmées du commissaire Santi contées par Yvonne à son fils au caravansérail d’un club sadomasochiste dont on se demande ce qu’il vient faire dans le récit.
Quand le film se termine, il n’a pas commencé. On est prié d’admirer sans barguigner.