Olivia

Chaste Gomorrhe !

Je ne dis pas qu’il était facile et fluide de représenter en 1950 un pensionnat de jeunes filles du siècle précédent où l’homosexualité est à la fois informulée, diffuse et omniprésente. D’autres films, qui avaient montré une jeune fille passionnément amoureuse d’un de ses professeurs, comme Mädchen in Uniform de Leontine Sagan en 1931, ou un climat général un peu ambigu de touffeur sensuelle comme Au royaume des cieux de Julien Duvivier en 1949 étaient infiniment moins explicites. Dans le film de Jacqueline Audry la liaison tumultueuse entre les deux directrices de l’établissement, Julie (Edwige Feuillère) et Cara (Simone Simon) est connue et admise par tout le monde, mais personne ne fait mine de remarquer sa dimension charnelle.

C’est d’ailleurs ce qui sanctionne, ce qui pénalise gravement Olivia : une sorte d’imperturbable esprit de sérieux, propre aux films de nature militante où l’on met tant de soin, tant d’efforts dans le discours et tant de précautions pour qu’il puisse passer sans choquer qu’on présente au spectateur un tableau tout à fait artificiel. Oh certes, on n’a pas fait la moindre économie sur beaucoup de choses : le cadre du pensionnat cosmopolite pour jeunes filles riches est exactement dessiné comme il faut et il ne manque pas une souillon de cuisine, ni un jardinier déférent pour le peupler et assurer aux demoiselles un confort de qualité ; on n’a pas davantage oublié la qualité de la cuisine, régentée avec maîtrise et passion par Victoire (Yvonne de Bray) qui n’a pas la langue dans sa poche mais est, comme tout le monde, soumise à et charmée par le rayonnement de la directrice et maîtresse de français, Mlle Julie (Edwige Feuillère).

Mlle Julie est l’impératrice d’un gynécée ; chacune veut être regardée, remarquée, recherchée par elle et le moindre signe de l’attention qu’elle donne à l’une ou l’autre des maîtresses ou des demoiselles est perçu comme un cadeau magnifique. Quelques unes pourtant sont des fidèles de Mlle Cara (Simone Simon), qui a fondé la pension avec Julie, qui en a été, en est encore l’amante mais qui souffre depuis un long temps d’on ne sait quelle maladie de langueur et d’ennui, sans doute inventée pour se faire plaindre et dorloter.

On imagine avec quelque effroi égrillard le parti qu’un réalisateur de films pornographiques de la grande époque aurait pu tirer de cette situation scabreuse. Heureusement nous sommes dans la France un peu coincée du lendemain de la Guerre. Alors que les frissons du désir (pour écrire comme dans la presse du cœur) parcourent tous les couloirs, toutes les chambres de la pension, on demeure dans une chasteté ambiguë…terriblement artificielle.

Arrive donc à la pensions des Avons, près de Fontainebleau, une jeune Anglaise, Olivia (Marie-Claire Olivia), qui n’est ni particulièrement jolie, ni particulièrement effrontée, ou intelligente, ou mutine, ou je ne sais pas quoi mais qui séduit dès l’abord la directrice, qui se détourne donc encore plus de son ancienne amie Cara. Et puis ? et puis, c’est tout. Olivia tombe amoureuse de Julie, qui est bien à deux doigts de céder au démon de la chair (même observation que ci-dessus), mais résiste. Cara se suicide en s’empoisonnant. La pension disparaît, élèves et professeurs se séparent. On s’y attendait depuis le début.

On peut se rappeler que Marie-Claire Olivia, ici un peu gourde, sera bien meilleure et bien plus trouble l’année suivante, dans L’auberge rouge (c’est la fille des aubergistes assassins, Carette et Rosay, mais aussi leur tête pensante). Évidemment Simone Simon, petit animal charnel, sensuel, sans doute un peu pervers est tout à fait bien, comme elle l’est dans d’autres rôles vénéneux, La bête humaineLa féline ou La ronde.

Mais Edwige Feuillère est absolument magistrale et on comprend tout à fait bien qu’elle fascine autant celles qui l’entoure… L’écouter dire les quelques vers poignants de Bérénice est une leçon… Je n’écoute plus rien et pour jamais adieu/ Pour jamais ! Ah ! Seigneur, songez-vous en vous-même/Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?/Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,/Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?/Que le jour recommence et que le jour finisse/Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,/Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?Vraiment du très grand art…

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