Profonde nullité
C’est bien étonnant, mais il y a, ici et là, sur divers sites, des développements sagaces et pertinents, des renseignements intéressants qui offrent des éclairages nouveaux à ce qui fut effectivement un phénomène de mode, guère durable, mais d’une assez grande intensité, pendant une petite dizaine d’années.
Devrai-je avouer que ma Sainte femme de mère, qui n’aurait pas fait de mal à une amibe, et qui, bien au contraire m’a inculqué sa passion du cinéma, nourrissait une sorte de dilection bizarre pour la dégaine, l’accent, le comportement et les coups de poing d’Eddie Constantine et qu’elle paraissait juger que sa façon de se comporter avec le whisky et les p’tit’s pépées était du dernier séduisant ? La bourgeoisie de province, raisonnable et pudique, avait ainsi son petit espace de délire…
Je dois dire que la gueule ravagée de Lemmy Caution, son jeu stéréotypé, l’infinie bêtise des intrigues dont il était le héros ne m’ont pas fait illusion bien longtemps et que, tout empreint de l’évidente supériorité que donne l’intolérante jeunesse sur le trop respectable âge mûr, j’ai vite enduit de tout les mépris possibles ces films réalisés à la chaîne par l’effrayant Bernard Borderie…
Cinquante années et un peu davantage ont passé. Au soir de ma vie (j’espère que ce long, mais digne sanglot fait beaucoup d’effet sur mes lecteurs), au soir de ma vie, donc, j’ai décidé de revisiter mes animosités de jadis et de naguère, soucieux de laisser une chance objective à des oeuvres que ma jeunesse, ou l’état d’esprit de l’époque ne m’avaient sans doute pas permis d’apprécier à leur mesure.
Je n’ai pas revu Ces dames préfèrent le mambo ; mais, de la même façon que j’ai à nouveau regardé Pierrot le fou, je me suis replongé dans Cet homme est dangereux, de l’immortel Jean Sacha : eh bien, pas davantage que lors de ma fraîche enfance, je n’ai été séduit : c’est vraiment nul.
Eddie Constantine, c’est vraiment aussi mauvais que Godard !
C’est dire !
J’ai le sentiment, tout de même que la fascination pour les États-Unis d’Amérique atteint son comble dans ces années Cinquante, qui sont celles de la gloire d’Eddie Constantine ; influence de la Libération, image d’opulence donnée par les grosses voitures américaines, bien plus nombreuses sur nos routes qu’aujourd’hui, où on n’en voit plus guère, et que nos constructeurs autochtones imitaient (les « Versailles », « Chambord » et autres…), fascination pour un mode de vie assimilé à la pratique, quasiment initiatique, du whisky (« qui a », me disent de grands cousins qui en ont goûté et que je questionne, « un goût de punaises écrasées ») et des Lucky Strike.
Ne pas oublier qu’il y a plein de bases de l’OTAN dans l’Hexagone (voir Le nouveau monde, d’Alain Corneau), que Châteauroux est presque devenue une ville américaine et que la menace soviétique (réelle ou prétendue, là n’est pas le sujet) tétanise ceux qui ne votent pas communiste, c’est à dire les 3/4 de la population (le PCF, après avoir atteint 28% en 1946, est tout de même encore à 25,9% aux élections du 2 janvier 1956.
Je pense que le désamour pour les États-Unis commence à peu près en même temps que celui – de l’autre côté de la barrière politique – pour l’Union soviétique, précisément en 1956 : pour les communistes, les évènements de Hongrie rompent le charme et font reconsidérer beaucoup de choses ; et pour le reste, la majorité des Français – le lâchage américain lors de l’expédition de Suez (certes drôlatique, voire farfelue) est bien le signe qu’on ne peut compter que sur nous-mêmes. Deux ans plus tard, le général De Gaulle nous tirera de l’attitude adulatrice et assez soumise connue dans toutes ces années d’après-guerre..
– Il paraît qu’à la sortie de La môme vert de gris, les Cahiers du cinéma écrivaient à propos de Borderie, que c’était » le Henry Hathaway français« .
Je ne connais guère d’Henry Hathaway que Niagara (ah ! si également une infecte nouillerie qui s’appelle Le plus grand cirque du monde, avec John Wayne, médiocre en exploitant de cirque et Claudia Cardinale, affligeante) mais ça ne me semble pas suffisant pour le porter au pinacle ; d’ailleurs si vous admettez que les films tournés par Eddie Constantine ont connu un coup de vieux, ils n’ont pas pris pour autant beaucoup de patine ; à peu près à la même époque, dans le genre policier, sans aller jusqu’aux sommets de Touchez pas au grisbi, l’excellent Henri Decoin nous sortait une excellente Razzia sur la chnouf…
Mais il est de fait que ce qui a le plus démodé le personnage hâbleur et désinvolte de Lemmy Caution et de ses autres avatars, c’est James Bond ; quand Sean Connery est apparu, qu’Ursula Andress en bikini blanc est sortie de la mer caraïbe, on s’est vraiment dit que la Guerre était finie…