Me voilà bien navré de ne pas pouvoir partager l’enthousiasme général et les dithyrambes éloquents sur ce film d’Elio Petri dont la qualité du titre, vigoureux et agressif, de la musique (d’Ennio Morricone évidemment) et de l’interprétation est, de fait, absolument remarquable. Mais, comme souvent, les films un peu mythifiés, dont on attend tant et plus et davantage, font souvent subir ce genre de déconvenues ou plutôt de légères déceptions : on vous a tant vanté le ton percutant, l’intelligence du récit, la subtilité des dialogues de cette Enquête que le préjugé favorable dont elle bénéficiait ab initio s’effrite au fur et à mesure qu’elle se déroule.
Je conviens très volontiers que l’essence de l’intrigue est extrêmement séduisante : un commissaire de police (Gian Maria Volonte) au demeurant assez terne, à la personnalité complexe et à la cérébralité torturée se grise du pouvoir qu’il estime détenir, de sa situation sociale au dessus de tout soupçon, de la subtilité de son intelligence et, après avoir assassiné sa maîtresse Augusta Terzi (Florinda Bolkan) – au demeurant aussi chtarbée que lui – joue au chat et à la souris avec ses collègues qui recherchent le coupable. Il sème des indices assez clairs pour les mettre sur sa trace et jouit de leur stupidité ou plutôt de leur incapacité d’imaginer que leur patron puisse être le coupable.
Là où, à mes yeux, la chose se gâte, c’est lorsqu’Elio Petri institue un rapport entre ces perversions affreuses, mais habituelles de l’âme humaine avec une critique sociale et institutionnelle. L’artifice qui fait passer le Commissaire de la section criminelle à la division politique de la Sûreté de l’État en fournit le matériau.
Nous sommes en 1970, période de tensions fortes surgies après l’explosion des années 67-68 (qui fut mondiale, ce qui ne doit jamais être oublié), qui apparut comme festive et planante (le Flower power, les hippies, la liberté sexuelle et tout le toutim) et qui, en fait, sapait les fondements traditionnels du monde. C’est en septembre 1970 que naissent, en Italie, les Brigades rouges, quelques semaines avant la sortie du film de Petri (16 octobre). C’est de quelques mois auparavant (en mai) qu’on date la création de la Fraction Armée rouge (groupe Baader-Meinhoff) et d’encore un peu plus tôt (début 69) celle de la Gauche prolétarienne, qui sera une des matrices d‘Action directe) en France.
Est-ce que le commissaire/Volonte tue sa maîtresse/Bolkan parce qu’elle le trompe avec le jeune anarchiste Pace (Sergio Tramonti) ? Est-ce qu’il perd ses nerfs et lui coupe la gorge en faisant une crise de jalousie ? Possible… mais enfin les rapports des deux amants sont si aigus, si empreints de sado-masochisme, si placés sur la corde raide que, précisément, la jalousie fait moins à l’affaire que ce que ressent le Commissaire placé entre les humiliations que lui fait subir sa maîtresse (qui ne cesse de se moquer de ses cravates, de ses chemises, de ses chaussettes, de sa façon de faire l’amour) et l’orgueil d’être précisément l’amant de cette femme parce qu’il incarne l’autorité. Du conflit naît le meurtre.
Je n’ai rien contre les films engagés mais je préfère, à tout prendre, qu’ils soit pleins de naïveté ; et cette Enquête me semble, à rebours, bien roublarde ; une roublardise qui culmine dans les séquences finales : le Commissaire a été démasqué, tout autant qu’il s’est dénoncé ; mais l’honnêteté, la bienfaisance, l’honneur de l’institution ne doivent pas être mise en doute. Tout rentre dans l’ordre immuable et on peut même parier que, quelque temps plus tard l’anarchiste Pace sera mis en cause pour l’assassinat.
L’esthétique du film me semble être très empreinte de son époque : couleurs, éclairages, plans assez froids et sans doute, précisément un certain abus de gros plans sur le visage de Volonte qui a toutefois l’immense qualité de montrer par une simple inflexion de visage son malaise existentiel. C’est la faute du pouvoir qu’on détient sans limite, dit-il. Voire ; c’est un peu plus compliqué que ça à mon sens.