Je n’ai jamais lu la moindre ligne d’un roman de James Ellroy. Et si je m’étais rendu compte que L.A. Confidential était issu de la même plume que Le dahlia noir, j’aurais sans doute tourné mon regard ailleurs. Et ceci tant l’idée de regarder des histoires policières californiennes, qui sont à plusieurs dizaines de milliers de kilomètres de ma réalité et de mon imaginaire n’a rien pour me séduire. Le dahlia noir de Brian De Palma m’avait semblé un tel compendium de complications incompréhensibles et de machinations ennuyeuses que j’aurais craint que L.A. Confidential fût bâti du même impeccable sérieux ennuyeux anglo-saxon si j’avais appris avant de regarder le film que l’auteur était ce fameux Ellroy. Cela dit et selon les meilleurs avis, l’adaptation tournée par Curtis Hanson est beaucoup plus limpide que celle de Brian De Palma et le film bien meilleur.
Je ne dis pas le contraire ; sans faire d’autre rapprochement que de se situer, l’un et l’autre, à peu près à la même époque – les années 50 – et dans un machin que personne, en Europe civilisée, n’oserait appeler une ville, cette conurbation automobile que l’ironie du sort et le clin d’œil sarcastique du Bon Dieu ont appelé Los Angeles. En tout cas, même si c’est vraiment extrêmement compliqué, on parvient à peu près à comprendre la nature des pourritures qui se sont accumulées, qui ont métastasé dans la police municipale de la métropole. À dire vrai il faut attendre la dernière heure (un peu moins, même) pour saisir que le ver qui est dans le fruit s’y est installé de façon encore plus confortable qu’on ne le pensait, mais de toute façon comme on ne ressent pas la moindre sympathie pour chacun des protagonistes, ça n’a pas beaucoup d’importance. Les dézingages fréquents, violents, sanguinaires qui nettoient de temps en temps le tableau et envoient ad patres des quantités de voyous et de policiers aussi détestables les uns que les autres, si bien filmés qu’ils sont, laissent un peu froid. Après tout, tout cela est du gibier de potence qu’on est bien aise de n’avoir plus de raison de croiser jamais dans sa rue.
L’idée est assez agréable de mettre en scène trois policiers qui se confrontent et se croisent et sont aussi différents que possible, presque caricaturalement : une sorte de brute épaisse, Bud White (Russell Crowe) qui tape dès qu’il peut sur les méchants, le sergent à l’échine souple Jack Vincennes (Kevin Spacey), qui ne refuse jamais les dollars qu’on lui glisse pour fermer les yeux… ou les ouvrir et le lieutenant ambitieux Ed Exley (Guy Pearce), qui vit dans l’adulation de son père, policier assassiné mais aussi dans la volonté de monter en grade le plus haut et le plus vite possible.
Ces trois là grenouillent au milieu d’une mare particulièrement saumâtre : drogue, racket, prostitution, cinéma porno… enfin tout l’attirail habituel de la pègre. On est vraiment dans un univers où les meilleurs ne valent pas mieux que les pires, où on tape sur tout ce qui bouge et où les chicanos qui sont cognés tout comme les noirs qui sont abattus ne sont innocents que par mégarde, si on ose dire, c’est-à-dire qu’on ne les frappe ou ne les tue pas pour de bonnes raisons, mais ne méritent pas qu’on verse sur eux une petite larme.
Le fil du récit va réunir les trois clampins à la suite d’un massacre très sanguinolent dans une boîte de nuit, où a péri Dick Stensland (Graham Beckel), ancien équipier de Bud White/Russell Crowe ; ça va mener loin et ça va faire intervenir une pute de luxe, Lynn Bracken (Kim Basinger), pouliche d’une écurie conduite par le malfaisant Pierce Patchett (David Strathairn) qui a la spécialité de fournir les amateurs en sosies de vedettes de cinéma de l’époque. Ainsi Lynn est une sorte de copie conforme de Veronica Lake, qui connut une courte célébrité grâce à sa coiffure particulière, un œil étant caché et qu’on n’a guère vue en France que dans Ma femme est une sorcière de René Clair.Il y a d’ailleurs une assez amusante séquence où une prétendue véritable Lana Turner boit un verre avec Johnny Stompanato, son amant de l’époque, gangster violent qui fut tué par Chéryl, la fille de Turner.
Cela étant dit, on ne mégotera pas son plaisir de distraction, un peu trop long pour être tout à fait satisfaisant, un peu répétitif et, à la conclusion un peu ridicule, lorsque à l’avant-dernière séquence, les armes crépitent furieusement et qu’à la dernière tout le monde s’accorde pour jeter un voile pudique sur les horreurs passées, au nom de la belle réputation de la police de Los Angeles.